Auteur : Paul-Louis Courier
Date : 1825
Source d’inspiration : Vibrations pastorales en Grèce antique
Genre : Pastiche osé
Titre : L’éveil à l’amour de Chloé
Mise en contexte
Les deux adolescents choisis par Éros pour leur grande beauté s’occupent ensemble de leurs bêtes et deviennent inséparables. Leurs jeux, dit le texte, sont ceux de bergers et d’enfants. Un jour, en séparant deux boucs qui s’affrontent, Daphnis tombe dans une fosse à loup, un piège dont il finit par sortir couvert de boue. Il lui faut se laver et Chloé l’accompagne à la fontaine d’une proche caverne où il se met nu et soudain la bergère découvre le désir ….
Présentation de la légende
Daphnis et Chloé est un très vieux roman attribué à un certain Longus, mystérieux auteur grec du début du premier millénaire de l’ère chrétienne dont on ne sait rien d’autre de la vie ni de l’œuvre.
C’est une histoire d’amour entre deux adolescents trouvés bébés dans l’île de Lesbos. Leurs effets laissaient entendre qu’ils fussent de condition supérieure, mais, recueillis par des éleveurs locaux, ils sont : lui, gardien de chèvres et elle, bergère rayon moutons. Ils ont respectivement 15 ans et 13 ans quand l’histoire commence. Embobinés par le dieu Amour lui-même, ils s’éprennent irrésistiblement l’un de l’autre. Le roman, agrémenté de descriptions de la vie pastorale de l’époque et de narrations d’attaques d’envieux voisins ou de pirates voleurs de bétail, va essentiellement conter leur passage de l’amour platonique à l’amour charnel, alors que les deux innocents n’ont « aucune idée de la façon d’assouvir leur passion. » C’est une longue montée du désir que l’on nous décrit jusqu’à la dernière page du bouquin où Daphnis, sachant enfin comment faire – et nous verrons pourquoi – met ses connaissances en pratique avec sa toute acquise Chloé1.
Le pâté de Paul-Louis
Une traduction du texte grec est rédigée en français au XVIe siècle par Jacques Amyot, un évêque, qui, en bon gardien d’âmes prudes, caviarde sans doute quelques pages du texte original au nom du respect des bonnes mœurs2. Cette version fera l’objet de multiples adaptations et éditions au cours des décennies suivantes, jusqu’à ce que, trois siècles plus tard, un autre helléniste d’une expertise prodigieuse, Paul-Louis Courier, trouve, dans un couvent de Florence, une copie de plus de cinq cents ans du manuscrit original, laquelle contient des pages osées jusqu’alors inconnues. Et là, l’histoire se corse de façon tout à fait saugrenue car, de son propre aveu maladroit, Courier tache à l’encre de manière indélébile le précieux manuscrit florentin, juste sur une des feuilles en question qu’il vient de recopier.
S’en suit toute une polémique entre hellénistes français et italiens. Qu’aurait donc souhaité cacher le copiste ? Dans les années qui suivent, de nouvelles versions du roman pastoral sont éditées, désormais corrigées, précisées, mais surtout complétées par Courier.
C’est la version définitive de Courier (celle de 1825) que nous pastichons ici en faisant trois propositions préliminaires :
- 1 – que la tache de Courier était volontaire pour laisser dans l’oubli d’autres détails scabreux de l’original de Longus ;
- 2 – qu’il n’y a pas eu « une » tache, mais « des » taches à deux endroits du livre où l’évêque Amyot d’abord et Courier ensuite souhaitaient taire les ébats des jeunes amoureux :
- 3 – que nous avons résolu l’énigme des taches et sommes parvenus à lire- et écrire ici – ce qu’elles dissimulaient.
DAPHNIS ET CHLOÉ – 1
(Avec nos excuses à l’auteur grec et ses vénérables traducteurs)
L’ÉVEIL À L’AMOUR DE CHLOÉ
Par : Longus (IIe ou IIIe siècle)
Traduit par : Jacques Amyot (1559)
Version finale : Paul-Louis Courier (1825)
Abandon du texte original à : et (Daphnis) se mit au bord de la fontaine à laver ses cheveux et son corps3.
AJOUT
D’un geste souple et naturel, le jeune pâtre se débarrassa de son sayon4 qui tomba le long de ses jambes au fin duvet. Il apparaissoit5 dans sa nudité, élancé et large d’épaules pour son âge, avec une taille fine d’une grande souplesse. On sentoit chez lui la rustique robustesse du meneur de troupeaux alliée à la noble et délicate plastique de l’adolescent de haute lignée qu’il étoit. Sa peau brilloit mate et dorée. Ses longs cheveux noirs tomboient en cascade sur ses épaules, comme sources aux printemps. Les mains sur le visage, il se lavoit la figure de la boue qui la souilloit en tournant le dos à la pucelle. Chloé le regardoit, et lors elle s’avisa que Daphnis étoit beau6. Elle l’avoit jà vu nu devant elle, comme lui avoit pu la voir ainsi dans sa nature aux hasards de leurs baignades, mais n’avoit jamais prêté attention au corps de son compagnon non plus qu’à sa beauté. Aujourd’hui, tout d’une fois, c’étoit différent. Il ne couroit pas non plus qu’il ne bougeoit. Il se tenoit juste là devant elle, en se lavant maintenant le torse. Elle le détailloit du regard comme elle ne l’avoit encore jamais fait : cheveux épars autour de son col bruni par le hâle, le triangle de son dos bien droit attirant la pâle lumière éclairant chichement l’antre des nymphes, ses longues jambes racées dessinant comme les courbes d’un arc. Surtout, les fesses du garçon, parfaites, serrées, rebondies figeoient l’attention de Chloé. Il se tourna bientôt vers elle, et son regard à lui dans ses yeux à elle la troubla comme jamais il ne l’avoit fait avant ce jour, sans qu’elle eût pu expliquer son soudain mésaise.
N’osant lui montrer comment elle le dévoroit des yeux, la pastourelle prise d’une gêne d’un genre qu’elle ne connaissoit pas, ramassa l’habit souillé aux pieds de Daphnis et entreprit de le laver à grande eau et gestes vigoureux. Les yeux fixes sur les bouillons sourdoyant de la fontaine, elle pâlissoit et au même instant son visage se coloroit de feu en battant de ses mains le sayon sur une roche. Elle le battoit si fort que ses paumes devinrent plus rouges que ses joues et qu’elle se trempa le devant de sa chemise où bientôt ses menus tétins gonflèrent le fin tissu en le faisant trembler comme si vent eut pénétré dans la grotte. Elle eut pour la première fois de sa jeune existence soudaine et étrange curiosité de tout découvrir de son compagnon dénudé. Amour lui voulut donner le souci de voir à son gré le devant du corps de Daphnis qu’elle savoit différent du sien. Souventefois, les deux enfants bergers avoient dans leurs jeux pastoraux ri ensemble de la présence d’un petit bout de chair lové ou parfois cabré, si peu caché au bas du ventre maigre et plat du garçon. Il sembloit qu’il se tenoit là un petit oiselet nouvellement né, recroquevillé tout rose au nid, mais tendant parfois un cou démesuré pour aller prendre la becquée au bec de sa mère. Le souvenir restoit à la fillette d’une belle journée du plein été que toutes fleurs étoient en vigueur qu’assis tous deux tous nus au sortir du bain dans la rivière, elle ressentoit pitié pour l’oisillon mouillé et malingre blotti entre les cuisses de son ami chevrier. Le prenant avec vivacité, elle pensa l’abriter et le réchauffer dans une de ces cages à cigale qu’elle faisoit pour se désennuyer avec du menu jonc. Cette fois qu’elle le vouloit saisir, le petit sauvageon se rengorgeant soudain lui avoit résisté et Daphnis, de petits cris, l’avoit engardée de lui faire mal. Cessant aussitôt le jeu, vite elle n’y pensa plus. Le monde offroit tant d’autres merveilles à découvrir…
Des saisons passèrent ensuite où voir son compagnon la laissoit sans réaction. Aujourd’hui, il en alloit différemment et la bergère s’en ressentoit toute surprise. Se redressant devant le dos de Daphnis tout nu, elle eut à cet instant le désir confus de revoir l’intrigant pendiloche accroché à l’avant des cuisses du pastoureau qu’elle eut contourné pour assouvir son souhait s’il ne lui avoit demandé de bien vouloir lui laver le dos et les épaules. Elle frémit en le touchant au corps. Il l’encourageoit à le bien frotter, parloit fort, rioit aux éclats, sans voir l’émotion de la jeune fille qui ne comprenoit pas ce qui lui arrivoit ce jour-là dans la caverne des Nymphes. Elle se mit à l’essuyer avec amour et douceur telles que mère autrement n’eût su faire. Mais ce n’est point comme mère qu’elle se sentoit. Ses mains qui battoient violemment le sayon quelques minutes plus tôt se firent pressantes sur le dos musclé, caressantes en effleurant le creux de la taille du jeune homme et s’arrondirent pour tendrement pétrir la chair ferme de ses fesses rebondies. C’étoit comme si elle les découvroit pour la première fois. Sa peau lui sembla si fine et si douce que plus d’une fois, sans qu’il n’en vît rien, elle se toucha elle-même, doutant à part soi qui des deux avoit le corps plus délicat. Son propre corps, pourtant si blanc, poli et gracieux lui sembloit moite, mol et terne, comparé aux chairs dures et fraiches de Daphnis. Son âme étoit oppressée. Chloé, pourtant si jolie fille eut bientôt ce jour-là les yeux emplis de larmes en songeant que son ami paraissoit plus beau qu’elle, qu’elle ne le méritoit peut-être pas et qu’un jour, il partiroit la laissant seule avec ses brebis. Elle en oublia son désir de le voir de devant et sortit de la grotte émue et pensive. Elle vouloit quelque chose et ne savoit pas ce qu’elle vouloit. Quand il la rejoignit, son sayon de nouveau le couvroit et la pucelle en eut comme regret. Il lui prit la main et l’emmena en courant vers leurs animaux. Elle sécha ses larmes et sourit. La vie continuoit.
Mais elle n’oublia rien. Le lendemain, de retour au pâturage, elle lui fit enlever le si peu de vêtements qu’il portoit. Ce jour-là et ceux qui suivirent elle voulut qu’il se baignât encore et, pendant qu’il se baignoit, elle le voyoit tout nu et, le voyant, elle ne se pouvoit tenir de le toucher. De se toucher aussi, elle, sans trop savoir pourquoi mais sans nulle pensée de honte ni recherche de plaisir, assise comme envoûtée sur le bord de la rivière où il nageoit. Il s’agissoit là pour elle de toutes nouvelles pensées et sensations dont elle s’expliquoit mal qu’elles lui vinssent à l’esprit. Son menu ventre de vierge, depuis quelques lunes saignoit aux quatres semaines, ce qui la laissoit interdite et préoccupée non plus que Daphnis que la vue de ce sang effrayoit. Elle n’éprouvoit point de telles craintes, mais s’étonnoit. D’autant qu’à d’autres moments et au même endroit de son corps, elle ressentoit force démangeaisons non douloureuses, plutôt agréables même, mais qui la laissoient tout autant inquiète. Et cela venoit souvent quand Daphnis, sur le chaud du midi, se baignoit, sans qu’elle sût si c’étoit là le fait de quelque volonté divine ou si le corps nu de son ami provoquoit chez elle quelque envoûtement malin. À ces moments-là, il arrivoit que la gente demoiselle en fleur d’âge s’étendît sur la berge, relèvât sa chemise et ouvrît ses jambes au soleil comme s’il eut pu l’assécher de ses chauds rayons. Mais généralement cette exposition à l’astre du jour ne faisoit que la moitir davantage et accentuer l’envie qui lui venoit de porter la main dans le blond duvet poussé depuis peu à la croisée de ses jambes pour atténuer l’irritation qui la rendoit impatiente. Ainsi sont chèvres et brebis qui se frottent au tronc de l’olivier, quand leurs petits depuis longtemps nés abandonnent leurs pis dégonflés.
Sans qu’elle eût pu l’expliquer, elle aurait aimé que Daphnis la regardât avec la même curiosité qu’elle éprouvoit, elle, à constater les dissemblances de leurs corps nus. Mais à ce qu’elle avoit à lui monter d’elle qu’il n’eut point lui-même, il sembloit se contenter de la seule différence de leurs longs cheveux, blonds comme gerbes à la moisson chez elle quand les siens étoient noirs comme ciel de nuit sans lune. À genoux devant elle, il tressoit ses longues mêches avant de la ceindre de couronnes de tendres branchettes de pins, sans jeter l’œil sur les rouges bourgeons ornant la gorge offerte de la jeune beauté ne son ventre ne ses jambes qu’elle ne lui dissimuloit jamais.
Amour dont elle ne savoit rien la poussa bientôt à de drôles d’agissements qui à l’esprit jamais ne lui seroient venus quelques mois plus avant et voici la manière comment. Quand elle n’étoit vêtue que d’une peau de faon tacheté nouée sur ses reins, la bergère aimoit, promenant avec lui, se mettre sur les genoux et se pencher en avant pour cueillir fleurettes ou ramasser brindilles. Il arrivoit qu’alors Pan lui dictoit de délier le nœud tenant la peau à sa taille et que, le vêtement tombé, elle exhibât l’arrière de son corps tout nu à son ami chevrier. Elle s’éjouissoit de se montrer ainsi et ne se pressoit pas de se recouvrir. Las, se tournant sans en avoir l’air pour voir s’il la regardoit, elle se navroit de le voir occupé à quelque jeu d’enfant, courir un oiseau, lancer cailloux dans l’eau ou jouer du flageolet, sans plus se soucier du tableau qu’elle lui offroit. De quoi sentant grande confusion elle ne cessoit de se poser questions. D’où venoit, se désoloit-elle, que caresser sa poitrine dure et plate à lui la rendît ainsi charmée et pantelante, alors qu’elle n’attiroit jamais l’attention de son compagnon sur ses jeunes seins ronds et pointus ? Pourquoi ne touchoit-il jamais sa croupe blanche et potelée quand elle se pâmoit à passer les mains sur les fesses de l’éphèbe ? Pourquoi ne sembloit-il pas faire cas de ses charmes de fille quand elle ôtoit sa chemise devant lui avant d’aller se baigner à la rivière ? Seroit-il plus attentif à elle si, comme lui, elle avoit entre les cuisses un oiseau aux moult formes ? Ainsi disoit et soupiroit la dolente jouvencelle cherchant en soi-même ce que c’étoit d’amour dont elle sentoit le feu et si n’en pouvoit trouver le nom. Et Chloé, des larmes dans ses grands yeux, doutoit toujours d’être assez belle pour son prince chevrier.
Reprise du texte original à : … le soir, retournant au logis, elle pensoit à Daphnis nu, et ce penser là étoit commencement d’amour7.
1NDLR –Et que les deux tourtereauxignares en amourparviennent à leurs fins, on ne s’y peut tromperà la lecture des quatre dernières lignes du roman:: « Daphnis et Chloé se couchèrent nus dans lelit, là où ils s’entre-baisèrent et s’entre-brassèrent sans clore l’œil de toute la nuit, non plus que chats huants ; et fit alors Daphnisce que Lycenionlui avoit appris: à quoi Chloé connut bien que ce qu’ils faisoientauparavant dedans les bois et les champs, n’étoient que jeux de petits enfants.»
2NDLR -Est-ce bien l’évêque Amyot qui fut l’auteur de ce que les historiensde la littérature présententcomme «Une lacune censurée parce que jugée «licencieuse», où d’autres avant lui avaient-ils déjà procédé au caviardage? L’histoire ne l’affirme pas, nous non plus.
3Page 7 du livre premier de notre ouvrage de référence. http://psyfontevraud.free.fr/pedopsychiatrie/ASE/Documents-historiques/DAPHNIS-ET CHLOÉ-
4Sorte de casaque que portaient les paysans.
5NDLR –On comprendra que la construction en «oit» des imparfaits est celle retenue par Courier lui-même, respectant la langue du XVIe sièclede Jacques Amyot.Nous n’y échappons donc pas.
6NDLR -Dans les textes suivants, nous complétons les descriptions originales en suivant la trame narrative proposée par Paul-Louis Courier. Comme ailleurs dans ce livre, les mots et phrases tirées tels quels du manuscrit pastiché sonten italique, les nôtres en romain.
7Livre premier, page 7 de notre ouvrage de référence.