INTENTIONS DU BLOGUEUR – PASTICHEUR

Ce que l’on ne peut pas dire, il ne faut surtout pas le taire, mais l’écrire.

Jacques Derrida

« La suite serait délectable,
Malheureusement, je ne peux
Pas la dire et c’est regrettable
Ça nous aurait fait rire un peu… »

Même quand on s’appelle Georges Brassens et que l’on s’autoproclame « polisson de la chanson » il est des choses que l’on ne dit pas.  Quand Éros pointe de la flèche dans les chansons comme dans les bouquins, les créateurs, bien avant la censure, s’émasculent, « s’escouillonnent », ricanait Rabelais.

« Sur les seuils des nuits de noces, un ange est debout, souriant, un doigt sur la bouche. »  Victor Hugo coule la règle d’or dans Les Misérables. Il est des réalités qui ne se content point. On ne saura rien de la défloration de Cosette, nous qui savions tout, mais alors là tout, des étapes de sa conquête par Marius. « Les mariés disparurent. », élude le poète. Tout juste noterons-nous avec un sourire entendu que, le lendemain matin, la nouvelle épousée apparut « admirablement décoiffée » et « radieuse » aux yeux des deux hommes de sa vie, Messieurs Valjean et Pontmercy.  

La littérature française des siècles passés n’entrait pas dans les chambres à coucher et couvrait d’un voile pudibond ce qui s’y déroulait.  Les personnages romantiques sont toujours de la veille (ou du lendemain) des moments de leur histoire où ils cèdent aux plaisirs de la chair. 

« Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. » Les contes l’affirment, mais n’approfondissent pas. Tout le monde n’est pas Brantôme, Sade, Louÿs et consort, ces quelques-uns parmi les grandes plumes qui firent leurs choux gras des amours charnelles de leurs héros et héroïnes.  Les Racine, Stendhal, Balzac, Rostand et tant d’autres laissent le lecteur sur sa curiosité quand les personnages qu’ils nous présentent, et dont ils décortiquent à loisir les motivations amoureuses, copulent. Or il n’est guère de roman où ils ne le fassent, mais les portes des chambres à coucher se ferment sur eux et « l’ange » qui les garde nous en interdit l’accès.

L’ange était corruptible. 

Ces pages qui « manquent » (?) aux plus grands des romans français, nous en proposons quelques pastiches. Le tout soumis avec témérité et humilité, conscient que nous sommes de toucher au sacrilège et absolument convaincu que les auteurs des chefs-d’œuvre témérairement « retouchés » eussent fait tellement, mais tellement, – mais alors là tellement ! – mieux que nous si l’idée les avait effleurés de narrer ce qu’ils jugeaient inénarrable.

Imaginer les ébats scabreux de la belle Hélène, fille du dieu des dieux, Zeus lui-même, cocufiant le farouche et noble roi de Sparte Ménélas avec le beau prince faux berger Pâris protégé de Vénus ! Peut-on supposer source d’inspiration de littérature érotique plus phénoménale que les ébats royaux, quasiment divins, de ces demi-dieux, plus belles créatures de leur temps… Ajoutez au piquant formidable de la scène – Thanatos collant bien sûr aux basques d’Éros – que des milliers de Grecs et de Troyens mourront des suites de cette fornication d’anthologie. Homère n’a pas décrit ce coït absolu. Serait-ce vraiment profanateur qu’un plumitif s’essaie un jour à le faire ?

Laissant aux Grecs ce qui leur appartient, nous avons retroussé nos manches, chaussé nos lunettes et fouillé dans nos bibliothèques françaises à la recherche d’ouvrages que de telles « pages manquantes » pourraient « compléter ». Nous en avons trouvé mille et en avons gardé quelques-uns, nous risquant à imaginer ce que leurs auteurs avaient tu. Était-ce là sacrilège ?  Sur notre lancée, nous nous sommes encore permis de parodier quelques pages monumentales de notre littérature, voire quelques chansons, allant même jusqu’à imaginer les frasques du gorille de tonton Georges avec le « jeune-juge-en-bois-brut emmené dans un maquis. » 

Qu’Hugo, le géant, et les autres immortels que nous allons pasticher nous pardonnent.  Tout cela n’est que bagatelle…  « Il n’y a point de plaisir qui ne perde à être connu » a bien tenté de nous décourager Marivaux.  Mais « On peut tout dire en souriant, » nous a stimulé Paul Léautaud.  Alors, en souriant, le plus souvent, parfois en rigolant gras, nous avons osé …

JS