Auteur : Stendhal
Date : 1830
Inspiration : Le dépucelage de Julien Sorel
Genre : Pastiche osé
Titre : Les trois premières étreintes de Mme De Rênal et Julien Sorel

Mise en contexte du pastiche

Madame de Rênal, épouse sage et sereine, est amoureuse du précepteur de ses enfants, un jeune homme ténébreux de dix-neuf printemps, dix de moins qu’elle. 

Celui-ci, Julien Sorel, est un grand adolescent romantique, d’origine modeste, beau comme un jeune dieu, brillant et ambitieux. Il rêve d’une gloire qu’il pourrait connaître comme militaire (le « Rouge » du titre de l’œuvre) ou homme d’église (le « Noir »). Son idole est Napoléon, général à vingt-cinq ans. 

La noble et riche dame qui n’a jamais failli dans sa fidélité conjugale se surprend à trouver plaisir à la cour impulsive et maladroite que lui fait ce Julien dont elle admire le charme et l’intelligence. Elle lui a laissé sa main à tenir, a cédé à quelques baisers véniels sur le bras, mais voilà que l’imprévisible garçon lui a promis sa visite dans sa chambre à deux heures du matin. En femme honnête, elle a dit non, mais ne dort pas quand il frappe à sa porte.

Les héros ont leurs accès de crainte, les poltrons des instants de bravoure, et les femmes vertueuses leurs instants de faiblesse. C’est un grand art que de savoir juger et saisir ces moments. (Henri Beyle, dit Stendhal).

LE ROUGE ET LE NOIR

(Avec nos excuses à Stendhal)

LES TROIS PREMIÈRES ÉTREINTES DE MME DE RÊNAL ET JULIEN SOREL

Abandon du texte original à : Il y avait de la lumière, une veilleuse brûlait sous la cheminée […]. En le voyant entrer, Mme de Rênal se jeta vivement hors de son lit. Malheureux ! s’écria-t-elle. […] Il ne répondit à ses reproches qu’en se jetant à ses pieds, en embrassant ses genoux. Comme elle lui parlait avec une extrême dureté, il fondit en larmes1.

AJOUT

— Mais, Dieu du ciel, vous êtes fou, mon ami, et je déteste votre conduite. Veuillez je vous prie cesser de baiser mes genoux et vous assoir dans ce fauteuil face à moi. Et séchez-moi ces larmes inconvenantes et ridicules en rapport à ces façons de malotru que vous avez de vous comporter. Votre présence à cette heure dans cette chambre est inadmissible et nous le savons tous les deux. Vous prétendiez avoir quelque chose d’important à me dire, eh bien, en voici le temps, je vous écoute ! Puis vous partirez à la minute ou j’appellerai mon mari, n’en doutez pas !…

— Oh Madame, se laissa-t-il aller d’un trait, la voix mêlée de sanglots, comment pouvez-vous être si cruelle avec moi ? Vous savez fort bien ce qui m’amène ici. Je me meurs d’amour pour vous et ne puis continuer à vivre sans avoir la preuve certaine de l’affection que vous me portez en retour, si vous ne me mentez pas en m’affirmant que je vous importe.

Les larmes de nouveau affluèrent à ses grands yeux noirs. L’air extrêmement malheureux qu’affichait sa figure de jeune fille, pâle, douce, émurent Mme de Rênal. La vive tendresse qu’elle ressentait pour ce garçon si gracieux était déconcertée par l’idée qu’elle pût le rendre triste. Comment lui montrer un air sévère quand tout en elle fondait devant sa mine chagrine ? Il l’aimait et le lui avouait à sa façon impulsive, violente et audacieuse. Une autre fois, ce presque enfant à qui l’on n’eût pas donné dix-sept ans l’étonnait, la perturbait, ébranlait son assurance de mère, d’épouse, de chrétienne… Et comment ne pas se l’avouer, elle qui avait craint qu’il lui préférât une rivale se sentait envahie d’une joie toute simple et profonde. Oui, il l’aimait. Mais alors… La nuit, eux deux seuls dans cette chambre… 

L’idée de commettre l’adultère avec le précepteur de ses enfants l’avait certes déjà effleurée. « Adultère. » Ô l’affreuse parole ! Elle l’avait immédiatement rejetée avec effroi et dégoût, culpabilisée à la seule idée d’avoir eu le mot ignominieux en tête. L’amour des sens, le contact des corps, qu’elle avait peu et mal pratiqués avec M. de Rênal, ternissaient l’image tendre et éthérée qu’elle se faisait de sa complicité amoureuse avec Julien. Elle rêvait de l’aimer comme une grande sœur ou une mère, mais ne s’y trompait guère : elle n’avait jamais eu de sœur et elle était déjà mère. Cette femme retenue, d’un caractère fort égal, avait l’honnêteté de reconnaître que son amour pour le fils de charpentier en qui elle pressentait un futur général, un possible évêque, dépassait en intensité curieuse, en crainte étouffée, en espoir de bonheur, tout ce qu’elle avait pu ressentir dans ses relations avec autrui.

Julien, de son côté, se sentait tout à coup démuni aux pieds de cette femme à la beauté de reine. Incertain, accablé d’embarras, il ne savait que faire, tremblant de tous ses membres et ne trouvant plus rien à dire. Le silence entre eux l’avait de longue date humilié, comme s’il eût été son tort particulier. Cette nuit, il l’horripilait. Serais-je aussi craintif et mal assuré si je devais combattre sur un champ de bataille ? songeait-il encore, troublé par son manque d’initiative. Tendu, crispé sur le bout du fauteuil où elle avait voulu qu’il s’assît, il voyait comme une mer infranchissable l’espace le séparant d’elle. Elle le toisait en maîtresse de la situation, debout devant son lit défait mais parfaitement ordonné comme si, en attendant sa venue promise, elle n’y avait pas bougé. Il sentait qu’il lui fallait se lever, aller à elle, mais il ne l’osait pas et cet affreux combat que sa décision de devenir l’amant de cette femme livrait à son accablante timidité le laissait mal à l’aise, honteux et furieux de l’être. Si je ne parviens pas à la faire mienne cette nuit, rageait-il, je me pends demain au lustre du grand salon. Il voulait moins jouir des charmes de la femme magnifique presque nue devant lui qu’obtenir de cette aristocrate d’une classe sociale tellement supérieure à la sienne une reddition totale à ses volontés. Ce serait là la preuve de la maîtrise que lui, fils de roturiers, avait su adroitement exercer sur ce cœur noble et chaste. Ne pas la voir céder à cet instant lui eût semblé une défaite, le plus grand des malheurs.

Dans la lumière de la veilleuse éclairant doucement la chambre d’une lueur crépusculaire, ils se faisaient face, lui les pieds nus, simplement vêtu d’un pantalon noir serré aux hanches et d’une chemise blanche à grand col échancré sur sa poitrine certes frêle mais harmonieuse et bien dessinée ; elle en robe de chambre de satin pourpre qu’elle avait choisie moulant tout son corps du cou aux chevilles. Elle la portait ceinturée sur une courte chemise sans manches également de satin, cette fois blanc, légère et ourlée de dentelles que, jeune fille, elle avait elle-même tissées de fils de soie en prévision de ses noces. Une parure de nuit imaginée du temps enthousiaste et crédule de son adolescence qu’elle n’avait jamais eu le courage de porter ni le soir où elle s’était pour la première fois donnée à son époux, ni plus tard une fois mariée. 

Nous ne tenterons pas ici de prétendre que Mme de Rênal ne s’était pas préparée à accueillir Julien Sorel cette nuit-là. Son beau visage aux traits lisses et bienveillants paraissait frais et rose dans la lumière de la veilleuse, exempt de toute crème ou onguent que les femmes raffinées de son âge utilisent parfois pour hydrater leur peau durant la nuit. Il émanait de son cou, de ses aisselles et de sa toison pubienne un discret parfum de savon de noix de coco au jasmin. Elle avait craint qu’il la vît avec ses longs cheveux blonds dénoués qui eussent pu lui laisser une illusion de laisser-aller ou la promesse d’un possible abandon. Elle les avait plutôt tressés en quatre épaisses nattes qu’elle avait réunies en un lourd chignon qui, loin de diminuer la sensualité de son apparence, lui ajoutait une touche de coquetterie et de grâce. Élégante, racée, élancée, elle se montrait au plus émouvant de sa grande beauté et ne l’ignorait pas.

C’est elle qui la première se lassa du silence. Faisant mine de passer outre à la vibrante déclaration d’amour qu’il venait de lui faire, elle lui sourit avec douceur et se vit à l’aise de le bousculer un peu sans trop penser aux réactions que ce jeune homme qui l’effrayait parfois par sa brusquerie et ses vives humeurs pourrait manifester à son initiative. Elle agissait plus par réelle curiosité de femme attentive et aimante que par envie de le presser à entamer quoi qu’il souhaitât entreprendre avec elle. 

— Et maintenant, Monsieur, le provoqua-t-elle, très calme, presque froide, en le fixant dans les yeux, que nous proposez-vous ? Me direz-vous vraiment ce que vous aviez en tête en venant ici cette nuit ?

Elle avait articulé sa question en détachant bien ses mots, comme un professeur interroge un élève lors d’un examen. La mort dans l’âme en se voyant arrivé au moment qu’il redoutait tant, Julien se leva d’un bloc du fauteuil bien près de se renverser tant le geste du garçon avait été brusque. D’une pâleur de neige, il tomba de sa hauteur à genoux devant elle, prit ses deux pieds qu’elle avait nus dans ses mains et, prosterné, y porta les lèvres. Une façon pour ce novice en amour à peine sorti de l’adolescence de se cacher. Il n’aurait surtout pas voulu qu’elle vît son visage à cet instant. Le sang venu d’un brusque afflux gonfler les veines de son cou, un trouble extrême couvrait maintenant ses joues de rougeur et d’embarras. C’est sa vie que cet être singulier risquait dans cette épreuve et il l’eût volontiers perdue en cas de rebuffade de Mme de Rênal. Il osait porter les mains sur elle et peut-être bientôt tenterait davantage. Le dos courbé, il tremblait de son audace, doutait de son habileté à réussir ce qu’il lui fallait maintenant entreprendre.

Sa seule connaissance des gestes de l’amour lui venait de quelques discussions anodines de jeunes hommes avec son ami Fouqué et de la lecture avide de certains passages de la Bible qui, faut-il le reconnaître pour lui, n’est pas un répertoire bien étoffé des us du savoir-faire amoureux. Il ne connaissait rien du corps féminin, mais le sien à cet instant lui montrait, comme l’aiguille d’une boussole au capitaine de marine, la voie à suivre et le pôle à viser. Las, un abîme encore le séparait du but. Mme de Rênal avait trois enfants, savait forcément des choses qu’il ignorait. L’idée effleura Julien de la laisser les guider dans la recherche de leur plaisir conjoint. Il en repoussa aussitôt l’hypothèse avec horreur. Non, il ne laisserait pas à la noble et riche héritière une nouvelle occasion de prendre prise sur lui. Jamais il ne lui laisserait percevoir une ignorance de puceau. Tout à l’inverse, il entendait lui montrer une science qu’il ne possédait pas. N’écoutant que son orgueil, il prétendait jouer le rôle d’un homme habitué à subjuguer et posséder les femmes. D’une main complice que la belle dame ne pouvait voir, il déboutonna le pont de son pantalon et libéra son sexe. Cet ambitieux ignorait que la forme de gêne qu’il eût pu montrer alors n’aurait pas semblé ridicule à Mme de Rênal, bien au contraire. L’assurance mâle d’un libertin expert en matière de déduit amoureux lui eût fait peur. Julien eût été bien en peine d’en démontrer à ce point, mais son attitude aussi brouillonne qu’agressive allait décontenancer sa partenaire, sinon lui déplaire.

Émue par son geste quand il s’était penché à ses pieds, elle avait surtout remarqué la froideur glaciale de ses mains qui serraient ses chevilles avec une force convulsive qui la paralysa. Comment pouvait-il montrer autant de hardiesse et de gaucherie mélangées ? Elle fit effort pour sortir de sa prise, mais il la tenait ferme et ses mouvements de résistance n’eurent pour effet que de la faire choir sur le dos dans son lit. Le peignoir de satin s’ouvrit dans cette chute sur ses jambes galbées, découvertes jusqu’à mi-cuisses. Elle n’eut le temps d’y remédier qu’il se jetait amoureusement sur elle et la couvrait du front jusqu’à la gorge de baisers brulants sans que leur regard ne se croisât, ce qu’elle eût désiré à cet instant. Elle y trouva non pas ravissement, mais, tout de même, un certain plaisir attendri. Elle eût pu résister, se débattre, hurler et chasser l’impudent garçon, elle n’y pensa même pas, pourtant indignée, mais restant passive sous son emprise. À quoi bon m’opposer à lui, songeait-elle. Serait-ce si grave que Julien voulût m’aimer ainsi en cet instant ? Pourquoi gâter son plaisir, le mien est de si peu d’importance. 

Elle s’agrippa à ses épaules et attira son visage dans son cou avec un mélange de résignation, de honte et de tendresse. Lui, grisé par sa propre témérité, crut bon de continuer d’agir avec autorité. Elle le sentit finir d’ouvrir son peignoir, relever le vaporeux voile de sa chemise de nuit et présenter son membre érigé à son mont de Vénus. Elle exhala un profond soupir et lui ouvrit à demi les jambes sans empressement mais avec détermination, décidée à faciliter son accès à cette brèche en elle vers laquelle il tendait. Avec cette même émotion résignée, elle le sentit après quelques essais maladroits et infructueux s’insinuer en son intimité et n’y plus bouger, comme interdit de se trouver là et surpris de sa propre intrépidité. Fichée sous lui comme un de ces papillons qu’avec les enfants ils épinglaient dans un grand cadre de carton, elle s’étonnait de la légèreté de Julien et de son apparent désarroi. Se remémorant quelques moments éprouvants vécus dans de semblables postures à de rares heures de devoir conjugal accordées à M. de Rênal, elle aima la gêne et l’évident manque de savoir-faire du garçon. 

Elle s’en voulut bientôt que son ventre ne fût pas mieux disposé à l’accueillir. Ces derniers temps, de jour en jour plus émue par les initiatives osées de Julien, il lui arrivait de songer à lui dans le nocturne secret de son alcôve et son corps, à ces heures de pensées solitaires, montrait vite des signes de prédisposition à l’amour tellement plus marqués. Elle ne se retenait pas de constater de ses longs doigts l’abondante humidité que sécrétaient alors ses muqueuses, allant parfois jusqu’à se donner un plaisir éphémère ne tirant pas à grande conséquence. Elle se refusait du reste à l’avouer à son confesseur. Encline à se culpabiliser, elle ne songea même pas à mettre au compte de la brusquerie et du manque d’expérience de son jeune amoureux le peu d’enthousiasme qu’elle ressentait à cet instant de leur nuit. 

La situation finit par se corriger quand, devant l’immobilité de marbre de Julien, elle se mit en besogne d’imprimer du mouvement à leurs deux corps soudés en bougeant sous lui de plus en plus voluptueusement, non par goût de la luxure, mais par recherche d’efficacité, enclenchant le plaisir du garçon et l’amorce du sien. Ce mouvement plut certes un peu trop vite au novice dont elle sentit s’épancher les fluides au plus profond de sa matrice. Il geint en éjaculant et sembla perdre toute vigueur en se laissant peser, cette fois de tout son poids sur elle, inerte et lointain. Après quelques secondes où elle le serra sur son cœur comme un enfant, elle prit sa tête entre ses mains, l’écarta de son cou et, fort émue, força leur regard. Des larmes apparurent aux grands yeux noirs de Julien, coulèrent sur ses maigres joues imberbes et vinrent s’écraser sur les seins de Mme de Rênal. Elle en fut bouleversée et le serait jusqu’à la fin des jours qu’il lui restait à vivre, aux heures de solitude où elle se souviendrait des pleurs versés cette nuit-là par l’émotif garçon qu’elle berçait dans ses bras.

Les amants se quittèrent le moment nécessaire pour, chacun de son côté, procéder à sa toilette, expéditive chez Julien, longue et soigneuse chez sa maîtresse. Revenu dans la chambre après ses ablutions, il se languit en l’attendant, conscient d’aimer à y perdre sa dignité la beauté de cette femme et atterré de tant la craindre tout à la fois. Serais-je encore un enfant ? se disait-il et pourtant il leur avait bien montré, à lui comme à elle, qu’il était un homme. Il se débarrassa de sa chemise, une pudeur de candidat au séminaire lui faisant garder son pantalon dont, toutefois, il laissa le pont à demi ouvert sur son sexe déjà gonflé de sang. N’avait-il pas eu tort de s’épancher dans le ventre de Mme de Rênal ? Ne risquait-elle pas d’en devenir mère pour une quatrième fois d’un enfant qui ne ressemblerait surtout pas à son rustre de mari ? L’histoire d’Onan dans la Bible, une de ses rares références en termes d’érotisme, l’inquiétait à cet égard. Le second fils de Juda avait préféré répandre sa semence à terre afin qu’il ne fécondât point la femme de son frère. Julien décida d’impressionner sa maîtresse en se retirant d’elle avant de jouir à leur prochain coït. Elle verrait bien ainsi à quel type d’amant à la fois averti et responsable elle avait la chance de se donner. Dieu, songeait cet inquiet, qu’elle lui semblait longue à sa toilette. Le doute l’envahissait. L’aurait-il déçue ? Et si, enfermée dans son boudoir, elle ne revenait pas…

Assise sur son bidet, nettoyant avec soin son entrejambe, Mme de Rênal se surprit du bien-être qu’elle ressentait à savonner, manipuler et rincer la chair tendre qui avait accueilli son bien-aimé. Quand elle jugea en avoir terminé avec ces soins, elle s’étonna en y passant une dernière fois la main de trouver la place à ce point sensible et toujours poisseuse. Cette concupiscence incontrôlable manifestée par son corps, autant que les pensées lubriques qui lui venaient en tête en sachant que Julien l’attendait dans sa chambre, la perturbaient au plus haut point. Mariée à seize ans à un homme plus âgé qu’elle, bon mari sans doute mais consacrant l’essentiel de ses intérêts à la politique et à ses affaires, Mme de Rênal, si naïve, n’avait de sa vie éprouvé ni vu rien qui ressemblât le moins du monde à la passion ou au plaisir partagé avec l’autre sexe. Ce qu’elle venait de connaître, aussi embryonnaire qu’eût été son plaisir, l’épouvantait, la culpabilisait et l’enchantait tout à la fois. Elle ne cessait de passer du chaud au froid, d’une indignation profonde et cruelle à l’envie toute simple et joyeuse de se donner à nouveau à Julien et cette fois d’en jouir.

Frémissante à l’idée qu’une seule mince cloison les séparait, elle se leva et entreprit de s’essuyer, face au grand miroir mural, un trumeau rectangulaire en acajou laqué vert et doré qui lui renvoyait son image de grande femme saine et fort bien faite. Elle aimait son corps et, quand l’occasion s’en présentait, ne renonçait pas au plaisir d’en laisser voir à son entourage le cou, les bras, le décolleté vallonné de son buste charnu. Elle n’ignorait pas les regards admiratifs qu’elle suscitait alors et s’était souvent plu à constater l’émoi du précepteur de ses enfants quand elle lui laissait prendre son coude ou qu’il se penchait sur sa poitrine. Elle parfuma ces endroits d’elle, même les plus secrets, où elle estima, espéra, qu’il porterait peut-être son visage en l’embrassant. L’idée folle lui vint de le rejoindre nue, puis, en souvenir de la jeune fille pleine de fantaisie qu’elle avait été, elle changea d’avis. Désormais prête à rejoindre sa chambre, elle inspecta une dernière fois son miroir et entreprit de dénouer son chignon, faisant bouffer ses longues mèches sur le haut de ses seins ronds et fermes. Elle se sourit. Prête à être aimée, elle se sentait belle et désirable.

Quand enfin la porte s’ouvrit, il se leva précipitamment pour l’accueillir, subjugué par l’admiration de ses charmes que découvrait son regard avide. Elle avait laissé derrière elle sa robe de chambre pourpre et lui venait simplement vêtue d’une courte chemise de nuit blanche et vaporeuse, ourlée de dentelles, échancrée sur sa poitrine mouvante et dénudant la peau magnifique de ses bras et de ses longues jambes. Elle eut, en découvrant la poitrine nue, fine et musclée de son amant, si différente de celle de son dodu mari, un geste de recul, comme si d’un coup elle réalisait l’ampleur de la faute qu’elle commettait et hésitait à aller plus loin dans le péché. Le visage irrégulier d’une beauté délicate et farouche de Julien se durcit et prit cet air sévère qui lui venait parfois avec les contrariétés. Elle ressentit la hantise soudaine de le perdre et, n’hésitant plus, se jeta dans ses bras et c’est elle qui cette fois les fit basculer sur le lit. 

Julien s’obstinant à jouer le rôle d’un Don Juan, lui qui de la vie n’avait jamais connu de maîtresse, se dégagea, et, dressé sur un coude, entreprit, comme on sermonne un enfant, de parler d’une voix grave à cette femme qui n’avait cure de l’entendre à cet instant. Il fallait, pontifia-t-il, qu’ils fussent prudents dans leurs transports et qu’ils s’y prissent de telle façon que leurs amours n’enfantassent point de descendance. Il savait faire, insistait-il. Qu’elle lui fît confiance et surtout les laissât agir comme il le lui indiquerait. L’intempestive mise en garde qu’elle écouta figée, les yeux baissés, la refroidit aussi sûrement qu’une plongée en eau glacée. Elle se vit brusquement couchée sur ce lit, presque nue, avec un homme autre que son mari, commettant des actes d’une gravité telle que la vie d’un être pouvait en dépendre. Par quelle aberration de son intelligence et de sa réserve de toujours en arrivait-elle là ? Tout à coup l’affreuse réalité de la tromperie conjugale lui apparut sous les couleurs les plus terribles. Ce moment fut affreux. Mme de Rênal se voyait méprisable, en punition exposée au pilori, sur la place publique du village, avec un écriteau « adultère » pendu au cou. Elle se sentit se refroidir du corps, se dessécher du ventre et, étendue le dos tourné à son amant, se mit à pleurer abondamment.

Julien s’en trouva interdit. Il souhaitait provoquer le respect et la gratitude de sa maîtresse par son avisée prudence et voilà que sa sagesse n’engendrait que déluge de larmes, froideur et indifférence. Il se coucha silencieux derrière la femme en courte chemise et cet être calculateur, si peu fait pour le bonheur, se prit à réfléchir sur la façon de relancer le concert de leurs voluptés tout en gardant sa morgue de mâle dominant et son apparent détachement. Que doit dire un homme dans des circonstances pareilles ? songeait-il. Il désirait mériter et posséder à nouveau le corps couché à ses côtés, son âme était dans les nues et cependant il ne pouvait sortir du silence le plus humiliant.

Sa voisine de lit sanglotait maintenant, et la nature sensible de Julien en fut touchée. Il tendit des doigts réconfortants vers la soyeuse épaule et Mme de Rênal eut un léger sursaut du haut du corps pour accueillir la caresse. La main consolatrice glissa d’elle-même à ce remuement sur un sein volumineux qu’elle entreprit machinalement de flatter. La pleureuse renifla et, aussi malheureuse qu’amoureuse, se rencogna contre le corps de son bien-aimé pour se réconforter à sa chaleur. Dans le mouvement, sa courte chemise de nuit remonta sur ses hanches, attirant l’attention de Julien. Reculant son buste du dos de sa maîtresse, il dévora des yeux la croupe opulente et abandonnée de Mme de Rênal. Elle se présentait dans la douce clarté de la veilleuse aussi galbée qu’une caisse de violoncelle. Un grand vallon sombre au profil de la taille et puis, attirant la lumière sur leur blancheur laiteuse, des fesses de statue d’une rotondité presque parfaite, scindées d’une ligne duveteuse promettant tous les délices, aimantèrent irrésistiblement l’intérêt du jeune faune. Son sexe tendu vibrant contre cette croupe de cocagne, il se morfondit à nouveau devant la cruelle indécision qui le paralysait et lui faisait horreur : ne plus savoir que dire ni que faire. 

Un homme peut-il s’emparer d’une femme en pleurs ? Le temps est-il venu de s’accoupler quand votre partenaire manifeste un tel désarroi ? Qu’aurait dit à sa compagne Napoléon en de telles circonstances ? Qu’aurait-il fait ? Il se traita bientôt de lâche et mû par un courage aussi soudain qu’aveugle eut l’impulsion d’agir. Durcissant son emprise sur le sein qu’on lui laissait triturer sans réaction, il dégagea de sa main libre son sexe érigé qu’il appuya aux arrières de Mme de Rênal. Elle eût pu l’aider à cette minute en bougeant des jambes et du bassin pour faciliter l’accès à son intimité et l’égoïste puceau eut l’outrecuidance de se fâcher in petto qu’elle ne le fît point. Provoqué par son inertie, estimant qu’à ce point de l’attente un amant devait manifester sans plus de tergiversations sa dominance virile, il coucha la femme offerte sur le ventre, fit apparaître et s’ouvrir son intimité et la pénétra sans violence, mais sans beaucoup de prévenance non plus.

Ce n’est pas vraiment ainsi qu’elle eût souhaité la reprise de leurs jeux amoureux, mais elle n’identifiait qu’un seul coupable à leur peu satisfaisante communion charnelle : elle. Julien était si jeune ! Une femme comme elle, de dix ans plus âgée, n’aurait-elle pas dû l’aider, le stimuler, le guider, être à l’évidence plus entreprenante ? Le décevait-elle par ses pleurs inconsidérés ? Une nouvelle fois, sa sécheresse intime hantait l’amoureuse. Elle adorait ce garçon d’une affection à ce point pure et désintéressée que cette fois son être charnel ne parvenait pas à suivre les débordements de son âme. Vos seins ne se dressent pas d’impatience amoureuse quand vous serrez votre mère adorée dans vos bras. Votre vagin n’a pas l’heur de s’inonder quand vous câlinez l’être que vous chérissez le plus au monde : l’enfant issu de votre chair. Ainsi en allait-il de son corps à cette minute. Et pourtant elle désirait cet homme en elle, souhaitait le rendre heureux, voulait aussi jouir de ces moments scabreux qui bouleversaient toute sa vie de bourgeoise heureuse. Qu’au moins la honte, la peine et le dégoût qu’elle ressentirait sans aucun doute aux difficiles lendemains de leur nuit d’amour en eussent valu la peine.

Leurs têtes collées joue contre joue, visages enfouis dans l’oreiller, ils ne se parlaient pas, écoutant leurs souffles mêlés, attentifs aux sensations émanant de leurs sexes imbriqués. Sous lui, elle se justifiait peu à peu d’être sienne, refluant au plus profond de son esprit ses doutes de tout à l’heure. Qu’y faire si elle aimait ce drôle de grand adolescent si différent de la masse insignifiante des jeunes gens de son âge ? Elle le savait de toute son âme ardent, intelligent, lumineux. Combien de femmes aimeraient l’avoir pour galant ? Pourquoi eût-elle dû se refuser à lui en cette nuit étrange qui la marquerait à vie ? À cette minute, elle redoutait bien plus d’un jour le perdre, lui, que de se perdre, elle, en le laissant disposer de son corps. 

Sur la noble femme soumise à ses volontés, fier de sa dominance, grisé du pouvoir de la posséder qu’il jugeait avoir gagné de haute lutte, le tourmenté Julien songeait : jamais plus elle ne me traitera en fils d’ouvrier. Cet homme malheureux, en guerre permanente avec la société, jouait encore un rôle à l’heure où il eût pu s’abîmer dans l’extase et jouir tout simplement du don fabuleux que cette déesse lui faisait de son amour. Soulignons que ce désintérêt pour le bonheur eut l’avantage de faire de ce puceau un bien meilleur amant. Au lieu de précocement éjaculer, comme le font tant d’amoureux novices à leurs premières expériences de la volupté, les pensées sombres qui l’obsédaient le retinrent de toute précipitation. Voulant convaincre de son habileté, il se montra attentif et pondéré ; voulant prouver son expérience, il sut imprimer un tempo mesuré à ses assauts. Il trouva un rythme efficace à pénétrer de longues et lentes poussées le sexe de Mme de Rênal à ce point qu’elle finit par s’en sentir stimulée. Son ventre si peu familier à de telles émotions érotiques répondit de plus en plus passionnément aux menées du jeune mâle. Assaillie de sensations nouvelles et bienfaisantes, béate d’excitation et transfigurée par la montée du plaisir, elle s’efforça de lui faire meilleur accueil, faisant saillir son derrière et poussant fort son intimité dilatée sur le membre qui la comblait. Las, c’est alors qu’il choisit de s’arracher d’elle et de répandre sa semence sur le haut de ses fesses.

Aurait-elle eu le moindre sentiment d’orgueil qu’elle lui eût fait reproche de ne pas s’être soucié de son plaisir de femme. Aucune triste réalité ne l’agressait, elle n’en fit rien. L’apaisement attendu s’éloignant d’elle, l’amoureuse inassouvie resta quelques minutes couchée sur le ventre, le postérieur détendu mais resté protubérant, les cuisses apaisées mais toujours écartées, comme il les avait laissées. Lui retourné pour une brève toilette à sa chambre, elle hésitait à se lever pour ne pas salir ses draps du sperme dont il avait maculé ses reins. Reprenant lentement son souffle et ses esprits, elle se contorsionna pour ôter sa chemisette dont elle fit une boule avec laquelle elle s’essuya adroitement le dos, sans que le foutre ne polluât son lit.

Nouvelle toilette minutieuse quoi que cette fois un peu plus pressée. Julien l’attendait debout près du lit quand elle revint dans la chambre. Cette fois entièrement dévêtue, sans prendre le temps de refermer derrière elle la porte du cabinet, Mme de Rênal se présenta à lui dans toute sa splendeur de femme offerte à l’amour. Il lui semblait trembler, torse nu, bras ballants, œil hagard, n’ayant gardé sur lui que son pantalon noir, le pont à moitié ouvert sur le sexe en demi-érection. Il voulut de nouveau parler ou du moins le crut-elle. Elle ne lui en laissa pas le temps et, se précipitant dans ses bras, l’embrassa avec violence, à pleine bouche, ses longs cheveux défaits virevoltant autour de leurs deux têtes unies. Emportée par cette rare fougue, elle enroula une jambe autour de la longue et maigre cuisse du garçon, poussant son ventre en émoi sur le sexe mâle qu’elle sentait palpiter contre sa chair. Cédant à l’envie qui la tenaillait, elle fit tomber à gestes acharnés et brouillons le pont du pantalon. Un bouton arraché à cette braguette roula sur le plancher avec un bruit saugrenu et tenace, étonnamment sonore dans la chambre silencieuse. Rougissant de son audace, la grande femme nue posa la main sur le phallus pointant hors des plis de l’étoffe. Inventant des gestes vieux comme l’amour mais bien inconnus d’elle avant cette nuit, elle manipula le vit frémissant avec un mélange de gourmandise, de force et de tendresse, étonnée de la puissance qu’elle semblait transmettre au membre charnu ne cessant de grossir dans sa main. Subjuguée par la passion, elle eût volontiers embrassé cette chair. L’air stupéfait et désapprobateur de Julien quand elle se pencha sur lui l’en retint, interdite et embarrassée devant la verge attirante. 

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Il lui sembla que Julien, profitant de son indécision, voulait reprendre le contrôle de leurs ébats. C’était là la dernière chose que Mme de Rênal souhaitât. Elle avait désormais une bonne idée de ce qu’elle attendait de son jeune amant, elle avait entraperçu ce que devait être la jouissance, elle entendait cette fois en connaître tous les délices défendus. Au moins aussi forte que cet homme-enfant, elle le fit reculer et tomber sur leur couche avant de s’empaler sur lui en cavalière farouche, déterminée, cette fois attentive à son propre plaisir.

Le sombre garçon eut la faiblesse d’être contrarié par cet enthousiasme. Certes flatté par l’intense démonstration d’amour de la noble héritière, il ne partageait pas la frénésie de sa maîtresse, redoutant une autre fois qu’elle le dominât. Aussi prisonnier choyé fût-il dans le sexe de son ardente maîtresse, il réfléchissait et ruminait sous elle. Au lieu de jouir de sa félicité, il pensait à leurs rapports de force.

Son amante aurait été sans doute bien marrie de le savoir, mais tandis qu’elle s’escrimait à leur donner de la joie, lui méditait sur l’ignominie des différences sociales de son siècle faisant en sorte qu’une femme riche pût se permettre ainsi, sans la moindre vergogne, de prendre ses aises sur un pauvre roturier. En fait et soyons ici d’une franchise médicale, Mme de Rênal devrait à ces élucubrations politiques du jeune mâle les multiples et toutes nouvelles jouissances qu’elle allait connaitre en succession dans la dominante position où elle dirigeait leur copulation. Ajoutons encore, pour être conforme à la véracité des faits, que l’agitation passionnée de cette amante pour un instant toute entière livrée à la lubricité eut une conséquence quelque peu fâcheuse pour son jeune puceau d’amoureux. Le déchaînement féminin sur son membre viril congestionné occasionna au garçon de vifs pincements à la base du gland. Le vagin de Mme de Rênal, une mère de trois enfants tout de même, avait beau être d’une envergure confortable, le prépuce rudement retroussé du néophyte n’avait jamais subi telle étreinte et le gland fraîchement décalotté, aussi motivé fût-il, pâtit dans cette tempête. Décidément Julien, pour savourer ce qu’il vivait dans cette chambre d’amour, ne pouvait parvenir à être simplement heureux.

La superbe amoureuse était la femme la plus tendre et affectueuse du monde. Épanouie, comblée par les réactions triomphantes de son corps plusieurs fois secoué par le plaisir, elle eut bientôt souci de s’assurer des humeurs de son silencieux partenaire. Elle se pencha sur lui, l’embrassa avec tendresse, le remercia et lui demanda en chuchotant si à cette minute il était aussi heureux qu’elle. Las, elle le trouva, les joues en feu, le souffle court, mais de nouveau tourmenté à cette idée qu’il exprima en courtes phrases au débit précipité qu’il pût la féconder. Le calendrier interdisait cette possibilité et elle le lui dit en termes d’initiée. Il ne comprit pas ses explications et d’un coup de rein parvint à extirper son vit du moelleux cocon où elle l’hébergeait pour répandre sa semence sur leurs bas-ventres engoncés. Elle en fut interdite. Décidément ce futur général ou potentiel évêque ne cesserait pas de la surprendre.

Elle n’avait cette fois plus aucune envie de se lever. Sa toilette pouvait attendre un peu, elle sentait que son corps avait connu assez de jouissance pour cette première nuit avec Julien. Elle se lova à son flanc et, dans sa fatigue extrême, se laissa aller à une somnolence tendre et apaisée. Elle entendait battre le cœur de son merveilleux amant, elle n’avait jamais été aussi oublieuse et heureuse. Un coq chanta bientôt qui la tira de sa torpeur. Une lueur rosacée apparut à la fenêtre de la chambre donnant vers l’est. Elle embrassa la mince toison qui brunissait le torse du garçon et ses plats mamelons et le renvoya à sa chambre. Elle avait goûté un bonheur inéprouvé dont, sa vie durant, elle se souviendrait. Las, les premiers remords lui vinrent à califourchon sur son bidet. 

Mon Dieu ! aimer, être aimé, n’est-ce que donc que cela ? pensait de son côté Julien de retour dans sa chambre. Ai-je bien joué mon rôle ? se questionnait-il devant la cuvette où il lavait son appendice désormais flapi comme un oiseau mort. Il y constata une mince éraflure sur le frein du prépuce accompagnée d’une rougeur tenace de toute l’extrémité du vit malmené. Décidément, se dit ce perpétuel insatisfait, le commerce des femmes n’a pas que de bons côtés.

Reprise du texte original à : Quand Julien sortit de la chambre de Mme de Rênal, on eût pu dire, en style de roman, qu’il n’avait plus rien à désirer…


1Page 111 de notre livre de référence, Le Rouge et le Noir, GF-Flammarion –Paris, 1964.