Auteur : Honoré de Balzac
Date : 1835
Inspiration : Triolisme à la Grenadière
Genre : Pastiche osé
Titre : Les prouesses érotiques de la marquise Arabelle Dudley
Mise en contexte du pastiche
Nous sommes une trentaine de pages plus loin. Félix, bien que dépucelé et devenu l’amant régulier de sa fougueuse lady Dudley, pense toujours à son grand amour platonique, la comtesse de Mortsauf. Il revient la voir en Touraine. Pas question que sa nouvelle maîtresse le laisse aller seul vers sa rivale. Elle l’accompagne et finit par croiser Henriette dans sa vallée de l’Indre. Les deux femmes se toisent et Arabelle comprend qu’elle s’attaque à forte partie. L’arme principale de l’Anglaise dans le duel amoureux qui l’oppose à la Tourangelle, c’est ce qu’elle apporte à Félix et que l’autre lui refuse : le sexe. « Pauvre moi ! je ne puis que me donner, je ne suis que ton esclave », minaude-t-elle à son amant. Mais quel « don » ! et quelle « esclave » ! Qui promet un peu plus loin au bienheureux Félix « [d]es caresses qu’aucun homme n’a encore ressenties et que les anges [lui] inspirent. » Excusez du peu…
La nuit suivante s’annonce sulfureuse. Balzac se commet en la commentant, nous informant du bout de son allusive plume que la marquise allait faire vivre à Félix « des folies comparables aux fantaisies les plus exorbitantes de [leurs] rêves ». Il y va même un peu plus fort, notre Honoré, évoquant « les irruptions volcaniques de la fougue [d’Arabelle]; tantôt les gradations les plus savantes de la musique appliquées au concert de [leurs] voluptés; puis des jeux pareils à ceux des serpents entrelacés. » Le maître de Saché n’en dira guère plus, se contentera de ces évocations absconses et laissera leur explication à l’imagination de ses lecteurs. Essayons de décoder et, tant qu’à y être, d’extrapoler… Accrochez vos ceintures, on va y aller fort.
LE LYS DANS LA VALLÉE
(Avec nos excuses renouvelées à Honoré de Balzac)
LES PROUESSES ÉROTIQUES DE LA MARQUISE ARABELLE DUDLEY
Abandon du texte original à : « Pendant cette nuit, Arabelle voulut montrer son pouvoir comme un sultan qui, pour prouver son adresse, s’amuse à décoller1 des innocents … »2
AJOUT
Plusieurs jours se sont passés depuis, chère Natalie, que je t’ai conté mes premières fredaines avec Arabelle Dudley. Plusieurs semaines séparent ces heures où elle me dépucela de cette nuit où elle choisit de me montrer l’étendue de son savoir érotique, une page sulfureuse de ma courte vie avec elle que je me dois de te relater maintenant. Je crois cette autre narration utile, car elle est en quelque sorte, dans le vif souvenir que je garde de mon aventure avec cette femme, l’apogée de ma découverte de la sexualité, le zénith de la course de notre histoire commune, ou peut-être après tout l’abîme le plus creux de ma descente aux enfers avec elle. Tu jugeras…, Natalie. Je ne serais pas le même homme si je n’avais connu Arabelle. Je ne serais pas le même amant si je n’avais passé cette nuit avec elle. J’en garde un souvenir équivoque à la fois ardent et trouble, toujours stimulant aujourd’hui quoi qu’encore coupable. Un vague à l’âme me saisit quand je repense à ces heures uniques mélangeant affrontements et redditions, possessions assumées et hontes bues. Reste que l’hasardeuse communion orgiaque qu’elle fomenta alors mena à notre prompte rupture aussi inéluctablement que trop d’excès de bravoure sur un champ de bataille conduit à la mort des combattants. Après cette nuit propre à attiser les flammes de l’enfer, nous avions je le crois obtenu le summum d’abandon lubrique que nous pouvions espérer l’un de l’autre. Elle me montra en quelques heures tout ce qu’hétaïres, déesses, tribades et prostituées peuvent initier de tours, d’artifices et de sortilèges pour combler leurs partenaires de jouissance. Ulysse n’en eut pas plus en sept ans de sa Calypso aux belles boucles. L’amazone du Lancashire n’était pas genre de femme à se plaire dans la routine, à reprendre le déjà fait. Moi initié à tous ses ensorcèlements, Madame de Mortsauf abandonnant la confrontation en se laissant mourir d’orgueil bafoué et de chagrin, l’Anglaise allait vite me laisser. Je te conterai comment plus après, mais dans l’immédiat, parlons de cette dernière et inoubliable nuit. Je tenterai, chère Natalie, de t’épargner quelques-uns des détails les plus scabreux de cette soirée extravagante et dénuée de toutes contraintes de retenue ou de pudeur, reste qu’il m’a paru convenir, par respect de nos intentions communes en nous livrant à ce jeu de la vérité, que tu en susses l’esprit et la teneur, aussi scabreux fussent-ils.
Nous nous retrouvâmes donc Arabelle et moi cette nuit-là à la Grenadière par les Hauts de Saint-Cyr sur Loire, une maison amie célèbre pour ses écuries et son parc équestre. Nous avions tous les deux longuement chevauché, d’abord chacun de notre côté en début de journée, et puis de longues heures de galop ensemble jusqu’à minuit alors que nous eûmes l’assurance que nous terminerions la nuit dans la même couche. Nous n’avions rien mangé depuis le matin et vivions dans un état de tension sexuelle exacerbée par l’attitude de Madame de Mortsauf qui, à la façon qu’elle avait eue de m’écarter d’elle, me poussait dans les bras et le lit de mon amante. Devisant de mes prudes amours avec la comtesse qu’elle ne se privait pas de railler fort méchamment, Arabelle m’avait gardé près d’elle tandis que sa femme de chambre anglaise, une adolescente de haute taille, défaisait sa coiffure et la préparait pour le bain. Imagine ma confusion et ma stupéfaction en remarquant qu’une main de la marquise, assise tandis que la fille délaçait le haut de son amazone, fourrageait sous la courte chemise de nuit d’un léger bleu azuréen de sa servante, si grande que sa hanche touchait la joue de sa maîtresse. Embarrassé comme tu peux imaginer que je le fus à cette provocante vision, je m’efforçai de ne pas m’attacher aux jeux pervers de cette main s’activant sans la moindre vergogne dans le jeune entrejambe, mais détaillai la domestique. Arabelle l’avait réveillée à notre arrivée tardive et la fille semblait à la vérité endormie, absente, passive, soumise, je n’aurais trop su qu’en dire tant les sentiments qu’elle pouvait ressentir à cette minute laissaient sur son visage peu de place à interprétation. Les cheveux d’une blondeur rousse de nordique coupés très courts, les traits lisses, gracieux, le tout petit nez retroussé, les yeux femelles, elle étonnait par son calme, son sérieux, sa candeur, la fraicheur de sa joliesse et la concentration qu’elle mettait à s’occuper de sa lady. Pour elle, je n’existais pas. En personne habituée ou insensible à de telles saugrenues privautés – j’eus été, là encore, bien en peine de me prononcer à cet égard –, elle cédait à sa patronne l’accès à son intimité en restant de marbre près d’elle, les jambes légèrement écartées, seulement trahie par un léger rosissement de ses joues d’enfant constellées de taches de rousseur. Son diaphane vêtement de nuit dissimulait à peine sa mince silhouette : longs membres, frêle poitrine, mais, bombant sa chemise, un fessier charnu et galbé plutôt étonnant chez une jeune personne ainsi bâtie toute en longueur. Ma virilité, je ne le cacherai pas, répondit à l’inattendu et lascif spectacle, d’autant que la marquise apparut bientôt presque nue sous les mains efficaces de sa camériste. Dressé comme un chien de cirque et connaissant les exigences de mon amante, je tournai les talons et rejoignis mes appartements où je fis longue et détaillée toilette. Je ne regretterai pas mes soigneux efforts d’hygiène.
Quand, marchant à tâtons dans un couloir sans fenêtre j’atteignis la chambre obscure de ma compagne, je ne vis qu’elle qui m’apparut étendue nue sur sa couche, les jambes, comme j’avais coutume de les découvrir à nos moments d’abandon, largement ouvertes dans le trapèze lumineux dessiné sur les draps sombres par la lueur de la pleine lune. Je me dénudai à mon tour et, m’asseyant auprès d’elle, entreprit de caresser ses cheveux en lui murmurant quelques paroles tendres. Ce n’est manifestement pas là ce qu’elle attendait de moi. Sa main fiévreuse chercha mon vit qu’elle recouvrit avec ce mélange de rudesse, d’aisance et de hardiesse qui caractérisait tous ses gestes en amour. Son autre main guida les miennes vers le bas de son corps où mes doigts s’engluèrent dans les chairs entrebâillées de son sexe déjà mûr pour le plaisir. Elle releva les genoux, creusa les reins, s’écarta davantage et, tanguant sur les toiles plissées sous elle, connut presque instantanément une jouissance qui coula sur mes mains jusqu’à mouiller l’intérieur de ses cuisses. Mise en appétit par ces préliminaires, elle se redressa d’un bond vif et s’agenouilla à mes flancs, les rotules portant sur le bas de mon thorax sans cesser de me caresser.
Les reproches qu’elle avait eu l’occasion de me faire sur ma précocité à éjaculer lorsque nous nous retrouvions plusieurs jours sans nous être aimés me retinrent de me laisser aller cette fois dans sa main. Mais je dois à la vérité de dire que cette experte en débauche savait fort bien ce qu’elle faisait de moi et que, manipulant mon trio viril, elle se retenait d’en masturber l’élément érectile, jouant plutôt à flatter tout l’appareil en s’attardant un peu plus à triturer mes bourses. À mon total effarement, son autre main vint bientôt sous le scrotum où se tapissaient mes testicules, folâtrer dans ma raie culière et bientôt titiller le trou de mon anus jusqu’à y introduire la première phalange de ce qui me sembla bien être son index. Par chance je ne crois pas qu’elle ait pu voir à ce moment mon visage dans la noirceur de la pièce : j’étais stupéfait, horrifié, terrorisé. Je sentais le sang pulsant dans mes carotides affluer à mes joues. Je tenais les yeux fermés de honte même s’ils m’eussent été bien inutiles en étant ouverts dans cette obscurité. Ainsi ma marquise osait de telles « caresses » (je doutais et doute encore de la justesse de l’emploi de ce mot dans les circonstances) dont je n’aurais jamais pu imaginer l’existence, dans mes rêves les plus indécents me menant parfois, à l’époque de mon adolescence, à de nocturnes pollutions. De tels gestes entre amants étaient-ils propres aux mœurs amoureuses anglaises ? D’autres femmes qu’Arabelle s’y adonnaient-elles dans le secret des alcôves ? Les concubines de rois se hasardaient-elles à de telles… « cochonneries » ? (C’est là, Natalie, le mot qui me venait et que je crois encore juste aujourd’hui d’employer pour décrire ce que cette femme m’imposait.) Naïf, je me demandais si je n’étais pas le premier homme au monde à recevoir tel saugrenu et barbare hommage. En même temps, l’avouerais-je, vibrant d’étonnement, je tremblais encore d’une vague admiration envers ma maîtresse. Fallait-il que ma lady m’aimât pour se risquer à grimper jusqu’à ce pic extrême de perversité. Fallait-il qu’elle voulût me séduire et m’ensorceler quitte à s’humilier ce faisant. Songeant à ce qu’elle s’enhardissait à commettre sur moi, imaginant sa main fouiner dans mon fondement, je me sentais prêt à défaillir de reconnaissance et bientôt de béatitude.
« Je ne te fais pas mal toujours, my dee ? » osa-t-elle me demander de sa voix assurée et moqueuse d’invétérée comédienne. Je n’eus point le temps de lui répondre que ma surprise vira à la consternation voire à l’épouvante en sentant son doigt, cette fois je crois, à la longueur, son majeur, s’enfoncer jusqu’à la paume de sa main en moi et s’y agiter à la façon d’un sexe mâle en besogne de procréation. J’en laissai échapper un cri de désarroi plus que de volupté tant l’intromission délictueuse de cette tige osseuse et noueuse me procurait de sensations neuves, incertaines, mais, du moins au début de mon envahissement, cuisantes. Compatissante à mes élancements, Arabelle extirpa un instant l’agent de mon tourment, effectivement son majeur droit, pour l’amener entre nos deux bouches et nous le faire sucer d’abondance, ses yeux de fauve brillant dans le noir, plantés dans les miens. « Ah tu voulais savoir jusqu’où irait la passion que j’ai pour toi ! Ah tu voulais que je t’aime à ma façon ! Eh bien, endure ! Tu n’en as pas fini avec moi, Félix. », me provoqua-t-elle et, tandis que sa main désormais lubrifiée retournait conquérir le bas de mon coccyx, elle se hissa sur moi, mais cette fois bien autrement que d’ordinaire à l’heure de nos coïts. Elle se coucha à l’envers, si je peux dire, sur mon corps, sa tête entre mes cuisses, ses seins pesant sur mon pénis, mêlant la toison bouclée et humide de son pubis aux poils rêches couvrant mon torse, ses genoux de part et d’autre de mon cou. Elle nous laissa ainsi un moment, comme pour me donner tout le loisir de la contempler sous cet angle singulier. Je rêvais que les chandelles fussent allumées sur la table de nuit la plus proche de ma tête. Elles ne l’étaient pas. Je me contentai en humant à m’en griser les odeurs sauvages émanant d’elle. Et puis la rouée initia des caresses que je n’aurais pu imaginer qu’elle entreprît dans les plus torrides de mes rêves et dont je mourais d’envie à cette minute. Prenant appui sur ses deux genoux, ramenant de ses deux mains les cheveux qui la gênaient sur sa tête, elle posa son front sur mon sexe en folie. Ma félicité ne s’arrêta pas là ; incrédule puis délirant de curiosité et de gratitude, je la vis saillir de la croupe, aplatir son ventre sur ma pomme d’Adam et déposer sur mon visage le désordre poissé de son entrejambe. Vite, de sa main libre elle ouvrit pour mieux les offrir à ma bouche d’abord timide son sexe et le trou du bas de son épine dorsale tandis que, novice en l’art de la fornication, je m’évertuais à trouver la meilleure façon de placer mes bras sur ou sous ses cuisses. J’y parvins à force de contorsions et sans qu’elle m’aidât davantage de ses mains, occupées qu’elles étaient désormais à prendre possession des territoires de chasse qu’elles ouvraient sur mon corps. Les lèvres d’Arabelle sur mon sexe se mirent à le sucer, le mâchouiller et l’engouler. De nouveau, j’étais parfaitement soumis à l’emprise de ce démon, mais cette fois le corps et le cœur aux anges, d’autant que son doigt gluant de salive n’éveillait désormais que d’agréables sensations inédites dans mon postérieur. Mes premiers bécots timorés ne durèrent que le temps pour moi de découvrir où résidaient les diverses sources de son plaisir. Elle m’y aida en me guidant de la voix puis, écartelée sur moi, gambillant des cuisses, ondulant du pubis elle mit résolument le cap sur ses jouissances, sous mes baisers devenus alors presque aussi goulus que les siens.
La soif de luxure qui animait lady Dudley au plus profond de ces moments orgiaques que nous vécûmes ensemble, communiquait à son attitude je ne sais quoi de languissant et de dur à la fois qui m’inféodait complètement à son pouvoir. Elle était pour moi l’initiatrice, la femme de chair, la louve en chaleur, primitive, dominante, d’une intensité telle qu’elle annihilait tout ce qui en moi aurait pu lui résister et se refuser à ses audaces lubriques. Dans cette même position et sans que nos bouches quittassent une seule seconde nos sexes à nos moments d’extase, je jouis deux fois sous elle avec une générosité à vrai dire assez embarrassante dans les circonstances. La marquise eut la civilité ou l’orgueil de sembler ne pas m’en tenir rigueur. Tout au contraire, ses gloussements admiratifs et quelques hoquets et légers rires me laissèrent croire en sa complicité réjouie. Je n’eus pas l’outrecuidance de lui demander le nombre de ses jouissances mais à l’état de mon cou inondé par ses écoulements, je sus bien qu’elles avaient été nombreuses. Si ma bouche ne quitta jamais la fourche de ses jambes du trou de son con à celui de son cul (excuse-moi, Natalie, de nommer ici ces lieux par leurs noms les plus vulgaires, mais les périphrases n’ont plus cours à ce point de mon récit), la sienne ne lâcha mon phallus qu’aux rares fois où elle m’exhortait à la bien « astiquer » ou pour me formuler certaines « special requests » de son cru dont je m’acquittais avec le bon vouloir, la célérité, que dis-je, la fougue de l’esclave du plaisir que je fus cette nuit-là et dont je t’épargnerai, chère Natalie, les servilités les plus graveleuses.
Ma seconde jouissance évacuée au fond du gosier d’Arabelle, nous soufflâmes un peu. Je me serais bien lavé le visage et rincé la bouche, elle me l’interdit, m’enjoignant de prendre modèle sur elle qui avait su disposer à sa façon de ma semence sans avoir à quitter notre couche. « La propreté, c’est avant, me dit-elle. La suite n’est que complicité et volupté, my dee. Se donner, c’est tout donner, tout oser, ne plus compter, ne plus craindre, ne plus répugner, ne plus rougir. Oublie le reste, ne pense plus qu’à jouir… » Mon sexe mouillé de nos fluides collait au drap, je me sentais du front au bassin imprégné par ses odeurs, englué du bas ventre par ses sécrétions et mon foutre et, étalé de tout mon long dans nos draps froissés et souillés, je goûtais cette luxure, heureux de savoir que notre nuit n’était pas encore terminée et que nos corps n’avaient pas fini de se repaître l’un de l’autre. C’est alors que mes yeux plus accoutumés à la noirceur ambiante aperçurent un pied nu s’agitant comme on bat la mesure d’un lent tempo à l’extrémité du trapèze de lumière que la lune dessinait, maintenant, non plus sur le lit mais à nos pieds sur le plancher de la chambre. Attentive à la direction de mes regards, lady Dudley constata mon trouble à cette découverte et se leva. J’entendis le bruit d’une chaise que l’on quitte et ma maîtresse, espiègle, radieuse, me revint tenant par la menotte sa femme de chambre en courte chemise de nuit cette fois rose, comme un danseur de menuet brandit délicatement la main de sa cavalière. L’élancée Jane – la marquise me la présenta sous ce prénom –sourcils baissés, regard fuyant, semblait dans la pénombre un peu gênée quoi qu’affichant la moue énigmatique du témoin qui en a beaucoup vu. Je n’attendais pas qu’elle me parlât, ayant déjà eu l’occasion de constater sa discrétion et sachant qu’elle s’exprimait dans ce patois régional du nord-est anglais que seule à Paris comprenait sa patronne. Risquant un fléchissement de genoux, sa main libre relevant sur sa cuisse le pan de sa chemisette, elle y alla à mon intention, mais sans me regarder vraiment, d’une courte révérence qui, dans les circonstances, eût pu frôler l’impertinence. Imagine la scène, Natalie, elle, en veine de politesse raffinée face à… moi, nu, échevelé, affalé sur le lit défait, exhibant sous ses grands yeux en amande un sexe rouge, mafflu et luisant de soudard.
Avec des manières de prestidigitateur, ma libertine Anglaise fit assoir le troublant échalas entre nous et entreprit en chantonnant de lui retirer son vêtement tout en me dotant de regards obliques guettant mes réactions. Je ne savais que dire mais mon phallus pris d’incontrôlés frémissements s’exprimait pour moi. Cette fille aux cheveux de garçon me paraissait à la vérité fort troublante et je brûlais à chaque nouvel aperçu de sa chair que la démone Arabelle me faisait découvrir petit bout par petit bout dans un lent et précieux déshabillage. Comparée à la gironde féminité de ma tigresse de lady, Jane, gracieuse, déliée, fluette, avait l’allure d’une tige d’ail montée en graine. Elle montrait des épaules charpentées mais osseuses, une petite poitrine nacrée aux larges aréoles brunes contrastant avec sa blanche carnation de rousse, un léger duvet pâle sur le mont de Vénus et de longues jambes d’échassier. Surtout, confirmant mes premiers étonnements, la nature l’avait dotée d’un cul – disons le mot – tout à fait surprenant chez une jeune femme de sa sveltesse. Non point qu’il fût gros à proprement parler mais l’adolescente était à ce point dégingandée et haute en jambes que ses deux fesses rebondies, vallonnant son dos d’un dôme saillant comme un ventre enceint, semblaient disproportionnées sur ses deux cuisses fuselées. On eût dit deux boules de glace posées sur de longs cornets trop étroits3. Ce croupion de rêve attirait le regard aussi sûrement qu’une pépite d’or dans un écrin de velours sombre. Arabelle fit se lever et tourner Jane sur elle-même, juste devant nos yeux dans les rayons de lumière de lune, afin que je la découvrisse mieux. Son charmant visage sage, à ce point concentré et sérieux qu’il en devenait pervers, la femme-enfant obéissait avec diligence au moindre des ordres licencieux4 de notre prêtresse. À sa demande, le dos devant nous, la longue rouquine nue baissa légèrement le torse avec la souplesse d’une gymnaste à la poutre et les grâces d’une danseuse classique. Nous regardant par en dessous, une main sur ses plats tétons, l’autre posée sur la croupe, elle nous offrit son altier popotin que je dévorai longuement des yeux, absolument subjugué par la perfection de cette chute de reins qu’eût pu sculpter un Michel-Ange. Un autre aboiement de lady Dudley et la drôlesse callipyge, assurant mieux son équilibre en écartant les jambes, disjoignit d’une main aux longs doigts fins les globes galbés et serrés de son merveilleux derrière, découvrant sa vallée aux trésors. Moi qui ne connaissais en fait d’intimités féminines que la fourche hirsute, opulente, ravinée et tourmentée de la marquise, je m’étonnais de l’étroitesse du sillon de Jane et de l’impression de pureté et de l’aura de mystère qu’il inspirait. Son entrefesse ouvert à quelques pieds de mon visage exhalait une odeur rémanente de savon à la lavande et je compris que Jane devait être soumise aux mêmes règles de propreté méticuleuse que moi aux heures d’abandons érotiques partagées avec sa patronne. Sous quelques poils roux et folâtres, le tendre ravin dévoilé apparaissait lisse et tranquille, d’un rose uniforme tirant sur le blanc. Dans ce canyon paisible, les ouvertures naturelles semblaient étonnamment délicates, comme aseptisées, bien closes et serrées sur leurs secrets. La menue rondelle finement cannelée de l’anus, encastrée comme une rosace dans le renfoncement des caissons d’une voûte, contrastait avec le mont de Vénus bombé comme une pêche mûre. Entre les deux, le sexe de la fraîche jeune fille n’était qu’une ligne fine, légèrement ourlée autour de son bouton comme eût pu la dessiner le pinceau d’un Watteau. Sur un autre ordre d’Arabelle, le docile tendron ouvrit de quatre doigts assurés les deux voies menant à ses entrailles, nous laissant voir ses chairs à vif. Lascif mais quand même un peu gêné par l’érotisme presque insoutenable dégagé par la totale exhibition, j’ai souvenir à cet instant d’avoir cherché le regard de mon esclave d’un soir. Je voyais sa jolie frimousse de gamine appliquée et vaguement sournoise, à demi tournée vers nous. Son regard attentif fixait Anabelle avec, dans son expression, moins de perversité que de docilité. On eut pu croire qu’elle doutait de satisfaire pleinement aux attentes de sa maîtresse et craignait de la décevoir en n’atteignant pas le degré absolu de lasciveté exigé d’elle.
Guidé dans l’apprentissage de la débauche par mon amante anglaise, moi de qui la vie était si studieuse, de qui l’âme était si peu hardie, je me trouvais dans un état tel que plus rien cette nuit-là ne me choquait. Tout me subjuguait et je me décidai à prendre pour chance et bel amour l’abandon sans humeur de la nymphette éthérée. Son comportement de pantin consentant, sa résignation de proie désignée, son renoncement résolu à toute pudeur me mettaient dans un état d’excitation absolument surréel. Je me sentais emporté par une frénésie qui ne pouvait être condamnée que par ceux qui ne l’avaient jamais éprouvée. J’étais moi aussi la chose d’Arabelle qui, à genoux dans mon dos, me branlottait nonchalamment en reluquant comme moi l’extraordinaire spectacle de ce cul faramineux. Dans une singulière confusion de sentiments, mêlant doute et bien-être, je bandais, disons les choses crument, comme, dit-on, le faisaient les Carmes de l’antique observance après des mois de continence.
Jane et moi à ces instants scabreux ressemblions à deux enfants qu’une nourrice entreprendrait de faire jouer ensemble. Belle et sauvage, lubrique et directive, la lady dirigea bientôt la main de la fille sur mon sexe, poussant sa bouche vers la mienne et d’un geste de dompteur d’ours nous fit tomber elle sur moi dans le lit. C’est la marquise qui, après l’avoir mouillé de sa salive, présenta mon phallus devant le ventre plat, elle qui en força le pertuis, elle qui l’y fit pouce après pouce pénétrer en écartant les grandes lèvres de la délicate figue fendue de la femme-enfant, elle encore qui imprima le mouvement du corps de Jane à l’assaut du mien en lui maniant la taille et les hanches pour bien faire aller et venir son royal postérieur entre les rails de mes hanches. L’élève n’avait pas la souplesse vaginale de sa maîtresse. Jamais mon vit n’avait été à ce point comprimé dans le ventre d’Arabelle, le seul autre sexe féminin que j’eusse pénétré à l’époque. J’avais conscience de m’enfoncer dans un étui bien trop étroit pour mon manchon dilaté presque douloureux, aussi prêt à me recevoir que fût le ventre mouillé de la grande sauterelle livrée à mon plaisir. Prisonnier consentant, torturé volontaire, si serré par les chairs adolescentes de Jane que je ne pouvais y remuer mon pieu, je restais d’une immobilité de marbre, monolithique, toutes mes pensées et mes sens convergents vers le brasier dévorant le bas de mon ventre. Bien ignorante de mes peines, silencieuse, consciencieuse, soucieuse de bien faire, ma cavalière ainsi mise en branle par les mouvements experts de la noble anglaise menait notre copulation en remuant sur mon vit, comme elle eût pu le faire sur un cheval conduit au trot enlevé et je finis par exploser sans retenue dans son petit con.
L’inexpressive rouquine aima-t-elle ou non ce coït de hussards ? Je n’aurais su répondre à la question qui me vint à l’esprit quand, l’orage passé, je la maintins un instant sur moi, mon regard cherchant le sien qui le fuyait. Fierté de jeune bouc ou empathie vraie et spontanée ? j’aurais aimé alors la savoir assouvie et pouvoir l’espérer heureuse. Je ne manquai pas de paradoxes, tu le constates, Natalie, pour me justifier à moi-même la complaisance avec laquelle je m’abreuvais à cette belle coupe. Nous ne communiquâmes ni d’un sourire, ni d’un mot de connivence, la femme de chambre anglaise et moi. Profitant de mon ramollissement post-coïtal, elle s’extirpa avec légèreté de mon étreinte comme on descend de selle, se laissa choir à mes flancs, puis se réfugia avec des manières d’enfant honteuse dans le giron de sa patronne. Y cherchait-elle tendresse ou réconfort ? Elle y trouva rudesse et concupiscence. La marquise la prit par les cheveux et lui tordant la tête sur le cou la pencha sur mon sexe en lui intimant dans leur dialecte un ordre dont je ne compris pas le verbatim mais dont je constatai immédiatement les effets. Jane, de son innocente bouche, nettoya pendant de longs moments mon foutre et ses pollutions engluant mon vit avec une efficacité double : je me retrouvai bientôt propre comme au sortir d’un bain turc et de nouveau affermi et bientôt tendu comme un daguet, ce qui sembla plaire à ma maîtresse. Féroce, elle retira la docile servante directement de mon sexe à ses lèvres et l’aboucha avec cette violence bestiale caractéristique de ses baisers les plus vicieux dont je connaissais déjà la luxure. On eût dit qu’elle voulût sa part des preuves de la jouissance de ses deux esclaves. Abreuvée mais non repue, elle nous regarda l’un puis l’autre, un sourire tenant de la grimace découvrant ses dents de louve et masquant, je le savais, d’impurs desseins. Ses yeux verts aux reflets d’or rétrécirent encore comme j’avais constaté qu’ils le faisaient au moment où son âme imaginait les perversités les plus obscènes de son fécond répertoire. Ma prêtresse de Vénus me fit mettre à quatre pattes près d’elle. Dans cette position, mon sexe, aussi bandé fut-il, pendait vers notre couche comme une tige d’horloge sur ses poids et devait apparaître comme un cinquième membre à mon long et maigre corps. Une main sous mon ventre empoignant ma « pendoche », l’autre passée entre mes cuisses et poussant sur mon scrotum, sa mouvante poitrine battant mon flanc, Arabelle entreprit de me « mamelliser » langoureusement le vit à la façon dont les bergères traient le long pis d’une chèvre. Elle lança quelques mots incompréhensibles d’une voix exaltée et Jane vint se coucher sous moi, la bouche en réceptacle ouverte sous la tête de mon gland, une main sur un sein d’Arabelle et l’autre s’activant dans la fourche de sa patronne avec un allant témoignant du plaisir qu’elle prenait à l’audacieuse manipulation. Mais peut-être au fond qu’elle ne fît qu’obéir aux ordres reçus. Je n’eus guère le loisir de réfléchir à ces questions tant la caresse de la main d’Arabelle m’amena vite à ces instants d’intense sensibilité qui précèdent la jouissance. Baissant la tête, je distinguais le visage angélique de Jane, sa mine concentrée, attentive, presque douloureuse. Comme une chatte à l’arrêt devant le trou d’où sortira sa proie, elle fixait, yeux grands ouverts le méat de mon sexe. Fasciné par le tableau, je tentais de me retenir d’éjaculer, le membre boursouflé et palpitant devant les lèvres de la fille. J’y parvins jusqu’à ce que la main libre d’Arabelle ne m’attaquât savamment le fondement. Combinant à merveille ses mouvements, ma maîtresse tira à le faire céder mon prépuce, décalottant lascivement mon gland violacé et rien n’eût pu à cette seconde empêcher ma semence de jaillir à longs traits. Alors, alors seulement, la servante s’accrocha à mes flancs, leva son buste et vint gober à la source tout ce que je parvins à lui donner et qui n’était pas rien. Merveilleuse d’application et d’efficacité, la femme-enfant n’en échappa pas une goutte.
Je l’avoue candidement, je m’échauffe, Natalie, à t’écrire tout cela et je vais clore maintenant aussi vite que possible cette impudente narration. Non que cette nuit s’achevât sur cette quatrième éjaculation, mais par crainte de t’en trop dire qui puisse t’amener à croire que je ne sois que ce libertin complaisant et lascif qui forniqua avec tant de concupiscence cette nuit-là à la Grenadière. J’étais jeune, sortais d’un quart de siècle de continence et de pruderie. Je découvrais un autre monde parfaitement insoupçonné, délicieusement délictueux. J’y reviens : faut-il me pardonner ? Nous les hommes avons moins de ressources pour résister aux femmes en quête de volupté que vous n’en avez pour échapper à nos poursuites. Ainsi, avant l’aube de cette nuit dont je te parle, je finirai par jouir sept fois, ce dont jamais dans mon innocence je n’eus cru mon corps capable, ce que jamais je ne referai de ma vie entière. Que te dire encore et brièvement pour en finir avec ces aveux qui me coûtent bien plus que tu ne l’imagineras jamais ? Que ces autres aboutissements orgastiques de nos divers accouplements furent plus longs à me venir, moins impulsifs, plus suaves, à la fois plus riches et plus damnables. En terrain inconnu et périlleux entre ces deux femmes, je jouais de mon âme, passant de l’abandon au défi, de la surprise à l’extase, de la honte à l’arrogance, jamais assouvi, peut-être heureux. Je n’aurais cru parvenir à de telles prouesses amoureuses, si tu m’excuses ces mots probablement trop nobles pour qualifier mes frasques lubriques et ne peux ici que concéder que la science de la luxure de Lady Dudley fut bien la responsable ultime de l’abondance de mes épanchements. Elle et sa longiligne muse firent tout pour me tenir dans un état absolu d’excitation et de béatitude. Jamais, je le crois, amant ne fut plus flatté, caressé, manié, baisé, lapé que je le fus cette nuit-là par ma maîtresse et son apprentie. Il n’est d’orifice en elles qui ne me fut offert et où mon membre, à ces jeux parfois endolori, ne fut accueilli d’enthousiasme.
Ma sixième jouissance évacuée, j’avais senti un épuisement tel que je vins près de m’endormir. Mes luronnes crurent-elles que je les délaissais ? Dans la lumière du petit jour qui commençait d’envahir la pièce, je les vis, cette fois nettement, se fixer des yeux, puis, sur je ne sais quel signal convenu entre elles, se rapprocher en rampant l’une de l’autre sur le lit ravagé. À ma surprise, c’est Jane qui cette fois sembla décider de l’ordonnance de leur plaisir me faisant supputer ainsi que, la nuit durant, la filiforme nymphette avait joui tout autant que sa patronne et qu’elle n’était pas moins dépravée que celle qui l’entraînait dans ses plaisirs coupables. Ce que la marquise me confirmera plus tard, du reste, m’assurant en termes orduriers que sa camériste à visage d’ange, aussi juvénile et d’allure innocente fût-elle, manifestait les symptômes d’une virulente nymphomanie. C’est à force de surprendre cette gamine perverse l’espionner en se masturbant quand elle recevait ses amants qu’Arabelle avait fini par agréer aux demandes de la friponne, en l’associant à ses ébats les plus licencieux.
Agissant cette fois comme si je ne fus pas à leur côté, la souple Jane d’un décidé grand écart de ballerine présenta sa motte entrouverte à force d’usage à la bouche de la jouisseuse couchée sous elle. En même temps, le dégingandé tendron écarta les cuisses de sa partenaire et les replia sous ses deux aisselles comme un infirme appuie des béquilles sous ses épaules. Plus grande qu’Arabelle, elle se retrouvait dominant tout l’entrejambe distendu de son amante, du bas du coccyx au sommet du mont de Venus. Ainsi soumise, la noble libertine étalait sous nos regards le trou dilaté de son anus et les chairs à vif de son vagin béant et clapotant. Jane s’y activa des doigts et de la langue comme un fauve attaque la blessure de sa proie. Incrédule et bien évidemment titillé par le spectacle, je regardais la grande fille caracolant de ses grosses fesses sur la figure de ma lady et, que te dire, Natalie, toute envie de sommeil m’abandonna bien vite. Je croyais que mes deux tribades ne s’occupaient que d’elles et fus étonné de voir les yeux verts constellés d’or fixés sur moi. Arabelle se dégagea un instant de la fourche de Jane, me jeta quelques regards à la dérobée et, ayant accroché mes yeux, me sourit : « Je savais, my dee, que tu allais nous revenir. Pas un homme ne peut résister à ce genre de spectacle. » En mots parfaitement crus, elle m’invita à m’approcher d’elles et à partager mes civilités entre les lèvres de sa camériste et celles de son con luisant de salive et de cyprine. Une poussée dans les unes, une introduction dans les autres, en haut, en bas, vingt fois, cent fois, je fus long à atteindre le plaisir. Quand elle me sentit sur le point d’y parvenir, ma maîtresse eut une dernière lubie. « C’est en moi que tu vas jouir, my dee », me dit-elle. Trois brefs ordres, pour moi bien incompréhensibles, sonnant comme des coups de fouet et la gamine, la bouche dégoulinante, abandonna le giron de la marquise. Farouche, haletante, pressée, Arabelle me fit étendre de tout mon long et glissa deux coussins sous mes reins. Dans cette posture, mon sexe pointait sur mon corps arqué, comme un mât sur le sommet d’une colline. Elle y planta le sien de sorte que seul mon gland le pénétrât. Elle enfouit son visage dans le creux de mon cou, creusa les reins et se dressa sur ses mollets nus comme une cavalière au galop en suspension, prenant bien garde dans sa chevauchée de ne pas déconner de mon vit et que ses fesses ne touchassent point à mon ventre. Épanouissant sa croupe de jument vers le ciel de lit, elle invectiva sauvagement son angelot d’esclave. Dominé et passif, réduit à mon strict rôle de pommeau d’arçon, j’observai la longue adolescente s’approcher de nous avec des grâces de panthère. Concentrée, résolue, elle s’agenouilla entre mes jambes, accoupla son vagin à mon genou dressé, et pencha la tête vers le postérieur houleux de sa patronne. De ses deux mains, elle prit possession du cul piaffant comme celui d’un mustang indompté, en écarta résolument les globes charnus et planta de tout leur long ses deux index dans l’anus distendu. Ses coudes pointus s’écartèrent, les mains crispées sur les deux bords du fessier, les doigts dilatant l’orifice béant en son mitan. La gamine lorgna longuement cet inquiétant volcan où fourrageaient ses phalanges en passant la langue sur ses lèvres et je la regardais faire, fasciné, abêti de luxure, tout mon sang affluant à mon membre en guettant les prochaines turpitudes de mes deux amantes. Et soudain, l’étrange adolescente me surprit en relevant le front vers moi, ses grands yeux purs de faon cherchant mes pupilles. Pour la première fois de cette nuit d’enfer, nos regards se croisèrent longuement, profonds, intenses, avides de partage. Un sourire sauvage et vainqueur qui n’était destiné qu’à moi éclaira d’une lueur satanique le mutin visage, tandis que la catin écrasait en l’agitant convulsivement sa matrice détrempée sur le plat de ma rotule.
Peut-être ai-je rêvé tout cela, Natalie, peut-être au fond étais-je trop drogué d’extase pour bien percevoir ce qui m’arrivait dans cette aube blafarde, irréelle mettant le terme à ma nuit de stupre, mais j’eus alors la pensée fulgurante que la perverse enfant et moi ne faisions qu’un, que j’avais mon mauvais ange devant moi, un succube diabolique, le bouc émissaire de ma déchéance. Brutalement, une évidence me vint : un jour, moi qui suis l’homme le plus doux de ce royaume, je tuerai cette fille. Je devrai l’étrangler, l’éventrer, piétiner son masque trompeur pour faire à jamais disparaître l’innocence démone de ce visage de vestale et retrouver ainsi ma naïveté perdue. Dieu en soit loué, je ne devais jamais revoir cette jeune femme et ne me reste, quand je pense désormais à elle, que l’ineffable remords d’avoir nourri d’aussi violents dessins à son encontre.
C’est elle qui rompit notre brève communion visuelle sur un hochement de tête de coupable connivence. Elle m’abandonna du regard comme on se jette d’un pont en laissant tomber le haut de son corps sur la croupe offerte et tressaillante de lady Dudley. Ainsi fond un busard sur sa proie. La langue sanguine et bandée comme un vit de l’implacable enfant darda l’espace foré entre ses deux doigts et s’engloutit dans le cul de sa maîtresse. Lady Dudley hurla et j’éclatai de mon foutre dans le désordre poisseux de son ventre avec, me sembla-t-il, presque autant d’intensité qu’à ma première passe d’armes de cette nuit infernale.
Le jour se levait. Nous nous laissâmes choir, enchevêtrés les uns dans les autres et je tombai dans une somnolence immédiate.
Reprise du texte original à : « Mon ange, me dit-elle quand elle m’eut plongé dans ce demi-sommeil où l’on oublie tout excepté le bonheur, je viens de me faire de la morale aussi, moi ! Je me suis demandé si je commettais un crime en t’aimant, si je violais les lois divines, et j’ai trouvé que rien n’était plus religieux ni plus naturel.5 »
1Ndlr-Àprendre ici bien sûr dans le sens de « décapiter »
2Page 114 de la version PDF de Le Lys dans la vallée(www.ebooksgratuits.com/ebooksfrance/balzac_le_lys_dans_la_vallee.pdf)
3La glace servie en cornet existait-elle du tempsde Balzac ? Nous en doutons. On voudra bien ne pas en faire un plat et nous pardonner l’éventuel anachronisme.
4Note de l’auteur –Que le lecteur soitaviséque ce personnage de camériste n’est pas totaleinvention de notre part. Balzac l’introduit dans son roman au début de cette nuit intense qu’allait vivre Arabelle et Félix. Il est minuit à La Grenadière et Balzac évoque « la femme de chambre, qui ne savait pas un motde français »aidant sa maîtresse à se préparer pour sa nuit de plaisir. Elle lui « arrangeait les cheveux ». Nous l’avons imaginée, certes, un peu plus occupée.
5Page 114 de la version PDF consultée.