Auteur : Molière
Date : 1665
Source d’inspiration : La tirade de la scène 2 de l’acte 1 : L’Éloge de l’Inconstance
Genre : Pastiche osé
Titre : L’apologie du « couraillage »

Mise en contexte du pastiche 

Dom Juan – faut-il le préciser – est un séducteur, un libertin d’une espèce impitoyablement condamnée aux siècles passés.  Il mourra du reste, à la fin de la légende espagnole ayant inspiré Molière, changé en pierre par la justice divine.  L’homme à femmes ici dépeint est doublé d’un gougeât provocateur, mécréant cynique qui scandalise son monde et au premier chef son valet, un brave homme nommé Sganarelle.  

Au début de la pièce, dans une des tirades les plus fameuses du répertoire du théâtre français du XVIIe, le maître explique à son serviteur pourquoi il ne saurait se contenter d’honorer une seule femme, en l’occurrence une dénommée Elvire qu’il a enlevée de son couvent, déflorée, épousée et qu’il projette d’abandonner pour en séduire une autre.

L’idée de pasticher Molière pour le rendre un peu plus explicite, n’est peut-être pas notre meilleure inspiration.  On en jugera.  Notre gêne ici tient au fait que Jean-Baptiste a fait très fort dans la profession de foi de son héros, qui dit avec éloquence tout -ou presque – pour justifier le libertinage auquel il s’adonne.  C’est ce « presque » qui nous a inspiré ce pastiche.   Pour osée (scabreuse et condamnable) qu’elle fût jugée à son époque, la tirade imaginée par le maître souffrait forcément de l’impératif d’auto-censure en vigueur dans le royaume très catholique de France.  

Nous l’avons donc quelque peu « corsée », mais, qu’on se le dise, nous nourrissons une admiration sans limite (presque une préférence) pour l’original de Me Poquelin : un bijou qui mérite, ami lecteur de ces pastiches, d’être relu et relu, une fois sa copie ci-dessous parcourue et vite oubliée …

D’autres mots pour le dire

ou

L’apologie du « couraillage »

ACTE I, Scène 2

SGANARELLE –. Monsieur, je vous dirai franchement que je n’approuve point votre méthode, et que je trouve fort vilain d’aimer de tous côtés comme vous faites.

AJOUT

DOM JUAN – Quoi ?  Tu me verrais ne coucher toute ma vie qu’avec une seule femme ?  Que peut bien te faire affirmer que l’on ne doive connaître ici-bas qu’un seul cul ?  En vertu de quelle morale étriquée et contre-nature notre première maitresse devrait être l’unique personne à jouir de nous ?  Quelle platitude, quel ennui, et pour elle et pour nous !  Notre flamme de jeunesse dument épousée aurait-elle le pouvoir de nous contraindre à l’abstinence ou à l’onanisme pour le restant de nos jours ?  Baste !  Le Ciel n’aurait mis tant d’autres beautés sur notre chemin que pour tester notre constance ?  Tout franc, Dieu ne saurait montrer tant de mesquinerie !  Lorsque qu’avec celle qui vieillit à leur côté le plaisir devient lassant, les plus accorts des hommes devraient-ils renoncer à ce privilège que leur confère leur nature de prodiguer de l’amour à qui en manque autour d’eux?  Que nenni !  La multiplication des partenaires épanouit les amants comme le changement d’herbage réjouit les veaux1.  L’abstinence n’est requise que pour les impuissants.  

Quand mes chausses se déforment à la vue des appas de certaines femmes, dois-je évacuer mon trop-plein de passion dans la cuvette des cabinets d’aisance ?  Sans possession du corps de l’autre, l’amour n’est qu’une messe sans communion.  Il n’est de belles qui ne méritent d’être courtisées, flattées, enflammées, prises et menées à l’extase.  Diantre, elles aussi, j’en témoigne, aiment à baiser et je n’en connais point qui ne jouissent à être mignotées, caressées, pétries, embrassées et comblées dans leurs recoins intimes les plus secrets.  Les femmes comme les hommes veulent le plaisir et têtebleu j’en sais de réputées fort sages qui, nues dans une couche, nous dépassent de cent longueurs en hardiesse amoureuse.  

Amour veut qu’on les amène gentement au don d’elles-mêmes.  Le défi n’est pas insurmontable.  La vertu est un boulet à la jambe des belles dont elles se languissent qu’on les libère.  Telles que l’on croyait de neige deviennent brasiers quand leur pudeur est réduite.  La chaste n’aura de cesse que vous vous soyez repu des yeux, des doigts, des lèvres et des narines par ses grâces et attraits.  La prude aura sur ce qui la différencie d’elle dans votre anatomie d’impromptues fantaisies des mains, de la bouche et du corps qui vous étonneront et vous mèneront au pinacle.  La plus farouche feulera et roulera sur vous des yeux de panthère amadouée quand vous lui ferez atteindre l’extase.  Quoi de plus doux que de faire tomber une citadelle dite imprenable ?  On vous ignore ou l’on vous toise, manœuvrez et viendront ces moments où l’on vous écoutera, où l’on vous sourira.  Finassez plus avant et l’on finira par tolérer votre main effleurant une épaule.  Séduisez carrément et l’on fera mine de ne rien voir quand vous loucherez sur un sein couleur de pêche que l’on vous laissera deviner, puis lutiner, et bientôt emboucher.  Vous baiserez une bouche dont les lèvres s’écartent, on décroisera pour vous des genoux fermés jadis, on se dévêtira devant vos yeux éblouis, une paire de cuisses s’ouvrira et vous offrira sans plus de retenue les joyaux qu’elle sertit.  Alors vous atteindrez la culminance de l’aventure humaine et vous serez des dieux, elle et vous

Oui, elle et vous, car c’est à deux que se pratiquent les jeux d’amour.  Viendront d’heureux rivages où nos compagnes revendiqueront la jouissance la plus débridée sans que le Ciel, dépassé par la force de la vague les ayant menées là, n’y voie le moindre délit.  C’est honorer nos contemporaines que de les guider dans ce beau voyage en les initiant aux caramboles les plus enivrantes.  Telle est ma quête.  Je me sens un cœur à aimer toutes les femmes.  J’en veux trois, j’en veux dix et cent et mille et plus encore, je le peux.  Si j’en avais dix-mille je les baiserais toutes quand j’en devrais mourir.

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SGANARELLE.— Vertu de ma vie, comme vous débitez; il semble que vous ayez appris cela par cœur, et vous parlez tout comme un livre.


1Merci Ricet